Helheim – Rignir

Dixième album des Norvégiens de Helheim, Rignir est l’héritier de plus de 25, bientôt 30 ans de carrière. Malgré cette longévité et leur statut de pionniers pour définir l’aspect Pagan/Viking du Black Metal norvégien, Helheim ont toujours semblé rester plus confidentiels que leurs comparses de Kampfar, Enslaved ou encore Ulver. Leur discographie et leur évolution musicale n’ont pourtant pas grand chose à envier à celles de ces formations. De l’efficacité « raw » des premiers albums aux sonorités atmosphériques et épiques de Kaoskult, en passant par les expérimentations nordique-électro-indus d’un Yersina Pestis, ils ont su innover, donner une personnalité à chacun de leurs opus sans pour autant se perdre en chemin.

Et ils l’affirment d’autant plus sur RaunijaR et LandawarijaR, les deux albums précédent Rignir : une tournure plus progressive, un chant clair de plus en plus présent, commençant clairement à dominer les parties vocales… Une recette qui peut ressembler à celle d’Enslaved sur le papier mais qui sonne en réalité de manière bien plus personnelle sur album. Malheureusement, si j’apprécie ces derniers albums, je dois avouer qu’ils ont du mal à me marquer, à me laisser une impression réellement durable qui me pousse à retourner les écouter inlassablement comme cela peut être le cas avec des albums antérieurs. J’étais pourtant enthousiaste à l’idée d’un nouvel album, curieuse de voir où le groupe allait nous emmener.

Si Helheim a plus ou moins toujours basé le concept de sa musique sur les textes de l’Edda, l’inspiration est cette fois indirecte. En effet, le groupe indique avoir utilisé une technique de versification en vieux norrois nommé « ljóðaháttr », fréquemment utilisé dans l’Edda. Il s’agit là d’allitérations (figure de style consistant à répéter une sonorité consonne) à la place des rimes. Sur 3 vers, les deux premiers comportent une allitération sur une même consonne, et le dernier vers plus long sur une autre consonne (par exemple : vers 1 et 2 répétitions de la lettre D, vers 3 répétition de la lettre V.). Information pouvant sembler anecdotique voire pompeuse, mais qui, lorsqu’on y prête attention, permet de mieux saisir le rythme de certains passages (dès le morceau d’ouverture « Rignir ») et de s’approprier ainsi plus rapidement l’album.

D’emblée, ça sonne assez familier : du mid-tempo, beaucoup de guitares en clean, de chant clair, une ambiance grise, plombante… Helheim nous avait déjà habitués à ces éléments sur LandawarijaR. Les premières écoutes peuvent même sembler assez mornes, un long mid-tempo avec peu de variations. Rignir n’est cependant pas aussi linéaire qu’il peut en avoir l’air et je le trouve au final bien plus abouti que son prédécesseur. Les détails se dévoilent au fur et à mesure des écoutes et ce dixième opus se révèle au final un peu plus complexe et riche qu’il n’en a l’air. Il faut donc prendre le temps, passer les premières écoutes, lui donner sa chance.

Les éléments naturels sont mis à l’honneur, et en particulier les temps gris, humides ou hivernaux. La pochette de l’album est striée de gouttes de pluie, le titre, Rignir, signifie « pluie », et ceux des morceaux évoquent la neige (« Snjóva »), la glace (« ísuð »), l’orage (« Stormviðri »), la grêle (« Hagl ») ou tout simplement le froid (« Kaldr »). La musique est assez imagée : outre les samples de pluie et d’orage sur « Hagl », les nombreuses descentes de tomes à répétitions peuvent facilement évoquer par exemple des giboulées.

Le résultat de tout cela est un spleen qui enveloppe tout l’album, une ambiance sombre et pesante mais jamais complètement écrasante ni vraiment menaçante.

Le chant clair, majoritaire sur toute la durée de Rignir, crée un relief plus mélodique. Un travail considérable semble avoir été effectué sur ces vocaux : tout en finesse, ils arrivent à transmettre un panel d’émotions assez vaste et juste mais sans jamais être dans la démonstration. Lorsqu’ils s’écorchent sur quelques notes ou montent dans les aigus, des contrastes étrangement harmonieux entre le sombre et le lumineux se dessinent. Ils m’ont, pour ma part, directement évoqué dans ces moments le chant d’Addi de Sólstafir (en particulier sur « ísuð »). Les harmonies qu’on trouvait déjà sur les albums précédents sont de retour et toujours mieux utilisées : elles donnent de la profondeur au chant clair et du relief à l’atmosphère (évoquant parfois les premiers travaux d’Ulver) dans certains cas, tandis que des chœurs donnent une tournure presque épique (mais toujours tout en retenue) renvoyant directement à Bathory pour quelques secondes (« Vertrarmegin »). Il va jusqu’à prendre la forme d’un murmure confidentiel sur le début de « Hagl », peut-être la piste la plus réussie de l’album pour moi.

Outre le chant, les mélodies subtiles et fragiles contribuent elles aussi grandement au sentiment de spleen. Elles apportent un aspect mélancolique au milieu d’une atmosphère grise ; discrètes et très peu souvent mises en avant, un peu d’attention est nécessaire à l’écoute pour les distinguer correctement. En plus du chant, elles créent elles aussi des contrastes, ajoutant un peu de lumineux sur un fond gris. Encore une fois, certains passages, comme les arpèges de l’intro d’« ísuð » ou de « Stormviðri » m’ont directement fait penser aux Islandais mentionnés plus haut.

Helheim ne perd pas non plus trop ses racines de vue. D’un côté, certaines parties vocales en clair, les harmonies et les tambours ponctuant les dialogues chant clair/ chant écorché rappellent clairement l’aspect « viking metal » (côté Bathory, voire Ereb Altor...). D’un autre côté, quelques riffs Black Metal sont disséminés au cours de l’album, les plus évidents étant ceux de « Kaldr », montrant que Rignir est capable de nombreuses variations avec des passages plus directs. Globalement, les riffs sonnent peu mélodiques, mais saccadés et efficaces lorsqu’ils sont mis en avant. Sinon, ils sont en retrait pour laisser place au chant. Un album moins axé sur les guitares donc, ou en tout cas sur les guitares saturées.

Enfin, l’aspect prog pour lequel Helheim manifeste son intérêt depuis pas mal de temps est ici poussé toujours plus en avant. Les huit morceaux tournent autour de 7mn à l’exception de « Vindarblástr », la plus courte (4mn). Au delà des variations entre les morceaux, ceux-ci sont loin d’être uniformes et comportent presque tous des changements radicaux en cours de route, sans pour autant perdre leur ligne directrice. Une composition solide et variée donc, qui ne se prive pas d’incorporer quelques éléments un peu plus inattendus (et qui mériteraient d’être encore plus explorés). Je pense par exemple au début de « Hagl » qui s’offre une batterie et une guitare clean avec un feeling très blues/jazz. Les solos de guitare, déjà présents auparavant, tendent parfois vers des sonorités psychédéliques tandis que la fin du tout dernier morceau, « Vertrarmegin », expérimente discrètement et prend presque un aspect à la Enslaved (on note d’ailleurs que Herbrand Larsen, ex-claviériste/voix claire d’Enslaved, s’est occupé du mastering).

Bref. Un album assez harmonieux, empli d’un spleen particulièrement touchant et renfermant quelques éléments intéressants pour l’auditeur attentif. Je continue cependant à lui trouver un petit passage creux après « ísuð », jusqu’à ce que « Vertrarmegin » débarque et attrape à nouveau complètement l’attention. Le temps décidera si Rignir marquera plus que son prédécesseur, mais c’est pour le moment bien parti : un son un peu différent tout en restant dans la continuité, des compositions et des ambiances plus abouties… J’ai pour ma part hâte de voir comment ces morceaux passeront l’épreuve du live lors de leur passage à Paris fin avril !

-Herja

8/10

Sortie le 26 avril 2019

Tracklist :

  1. Rignir
  2. Kaldr
  3. Hagl
  4. Snjóva
  5. Ísuð
  6. Vindarblástr
  7. Stormviðri
  8. Vetrarmegin

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