Grift – Budet

Décidément, on ne peut pas dire que Grift soit le genre de groupe habitué à faire mariner son auditoire entre chaque production. Ce serait même plutôt le contraire lorsque que l’on regarde le maigre délai entre les différentes sorties du groupe.

Car depuis 2011, année de sa création, le projet d’Erik Gärdefors a publié pas moins de neuf productions en neuf années d’existence, un véritable rythme de stakhanoviste au cours duquel sont sortis trois EP, trois splits, un album live acoustique, mais surtout deux albums studio, qui ont permis à Grift d’affirmer son identité sonore et visuelle au sein d’une scène Black Metal atmosphérique à la fois riche mais pourtant saturée par nombre d’artistes aux sonorités bien trop similaires.

C’est en 2015 que sort Syner (« Visions » en suédois),  un premier longue durée qui pose les bases de l’univers artistique du Suédois, en proposant six morceaux de Black Atmosphérique aux mélodies hypnotisantes, baignant dans une profonde mélancolie, mais tout de même sublimée par quelques envolées plus épiques tout au long des trente-huit minutes que dure le disque.

Deux ans plus tard, l’album Arvet (« Héritage ») est commercialisé, et s’inscrit dans la même veine musicale que son prédécesseur : les ambiances nostalgiques et les envolées épiques restent omniprésentes, bien qu’elles soient à présent enrichies par quelques passages acoustiques proches du dark folk, permettant d’apporter cet aspect plus intimiste, faisant ainsi contraste avec la froideur du Black Metal scandinave qui reste on ne peut plus présent sur les deux premiers albums de Grift.

Mais cela n’est semble-t-il pas suffisant pour notre Suédois tourmenté, puisque après un nouvel EP entièrement acoustique en 2018, puis l’enregistrement de la prestation au Emanuel Vigeland Mausoleum en Norvège, Nordvis annonce la sortie du troisième album de Grift, prévu pour le 20 mars prochain, dévoilant par la même occasion la pochette, la tracklist ainsi que le morceau « Skimmertid », premier extrait de cette nouvelle offrande. Si le schéma et le parti pris visuel de l’album restent identiques à ce qu’a pu faire Grift auparavant (six morceaux pour trente minutes de musique, et un paysage désolé, brumeux et monochrome en guise d’artwork), l’extrait dévoilé laissait entrevoir la plus grande importance accordée au Dark Folk et au côté plus ambiant et posé qui avait commencé à être exploré sur Arvet, un choix artistique sans doute conforté par les récentes performances acoustiques de Gärdefors dans des lieux aussi atypiques que feutrés.

Car cette facette est celle qui prédomine tout au long de l’écoute de ce Budet. Si le fond du propos demeure parfaitement reconnaissable, grâce à cette atmosphère très morne et grisâtre qui est de plus en plus palpable au fil des écoutes, c’est bel et bien cet aspect acoustique, dark folk et ambiant qui mène la danse, grâce aux nombreux arpèges de guitares (acoustiques et électriques), aux nappes de violon et d’harmonica, qui sont omniprésentes sur la plupart des morceaux, « Barn av ingenmansland » et « Skimmertid » en tête. Tant d’éléments qui confirment ce sentiment de désespoir maladif permanent, proche de certains groupes de DSBM, au détriment de la mélancolie introspective dont se paraît le groupe dans ses deux premiers efforts.

Dans ce cadre musical plombant et léthargique, le chant est un élément conducteur de plus dans la construction de cet environnement hivernal et « dépressif », comme si les hurlements plaintifs nous dépeignaient toute l’amertume que peut ressentir un homme livré à lui-même, seul, errant dans ces vastes étendues désertes qui ornent les pochettes du groupe. La complainte d’un être tourmenté par le deuil, la perte et le chagrin, des thèmes qui semblent faire partie intégrante de l’univers de Grift lorsque l’on se penche sur ses différentes expressions visuelles (clips, photos promos, etc). Cette fibre narrative du chant est d’autant plus présente sur « Väckelsebygd », morceau entièrement ambiant où les nappes d’orgue, les bruits de cloches et les chœurs s’ajoutent aux plaintes pour former une atmosphère solennelle semblable à celle d’un requiem, qui est ici déclamé par Erik Gärdefors telle une éloge funèbre dans une sorte de recueillement.

Une trame auditive à dominante dark folk et ambiante donc, et peut-être même trop, quand on la compare à celles de Syner et Arvet. Car si les riffs BM sont toujours présents dans Budet, leur apport est ici bien différent par rapport à ce que l’on trouve sur les précédents albums. Plutôt que de dynamiser les compositions avec des envolées épiques, des rythmes percutants et des mélodies poignantes, les trémolos présents sur Budet renforcent davantage le misérabilisme et la lancinance de l’album, les mélodies en trémolos picking étant souvent douces et aériennes, bien que porteuses de cette aura très monotone et répétitive. Trop répétitive même, car si l’effet miséreux et « dépressif » (mettons de gros guillemets, il y a bien plus torturé dans le genre) de l’album est plutôt réussi, la trop grande homogénéité des compositions nous laisse un arrière-goût d’inachevé, comme si le manque d’intensité et de nuances, poussé ici à son paroxysme par l’atmosphère douloureuse qui règne sur les six titres, l’empêchait d’atteindre la même puissance évocatrice que ses deux grand-frères.

Ne vous méprenez pas, ce troisième album de Grift est dans l’ensemble assez réussi, le message qu’il veut nous transmettre est immédiatement palpable après quelques écoutes, et ne trahit en aucun cas l’identité développée par le projet depuis ses débuts. Cependant, son manque de relief et de diversité ne lui permet pas de rivaliser avec Syner et Arvet en termes de spleen couplé à une certaine majesté mélodique. Une légère frustration donc, pour un groupe avec un background aussi immersif, dans une scène Black Atmo où l’originalité devient de plus en plus une chose rare.

Varulven

6,5/10

Sortie le 20 mars 2020

Tracklist :

1. Barn av ingenmansland
2. Skimmertid
3. Ödets bortbytingar
4. Väckelsebygd
5. Vita arkiv
6. Oraklet i Kullabo

 

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