Borknagar n’a plus grand-chose à prouver depuis longtemps. Bientôt 25 ans de carrière que le groupe norvégien propose son black metal mélodique, folkish et progressif bien reconnaissable, avec des monuments comme The Olden Domain ou Empiricism. Toujours plus ou moins fidèles à la recette originale tout en réussissant à rester passionnants, les deux derniers albums, Urd et Winter Thrice, continuent d’être excellents. Øystein G. Brun, principal maître à penser, et sa bande continuent de proposer une musique à la fois riche et étonnamment accessible, dépeignant des paysages sauvages et enneigés. Un classique parmi la panoplie de ces groupes norvégiens qui ont su innover très tôt en chamboulant un peu les codes, et dont l’inspiration ne semble toujours pas faire défaut aujourd’hui.
Certes, mais True North marque tout de même quelques (énièmes) changements de line-up, annoncés progressivement sur les réseaux sociaux. Bjørn Dugstad Rønnow et Jostein Thomassen remplacent respectivement Baard Kolstad derrière les fûts et Jens F. Ryland à la guitare. Mais la plus grosse annonce, qui a sûrement engendré le plus d’attentes et qui en a surpris plus d’un, fut le départ de Vintersorg, au chant depuis Empiricism (sorti en 2001). On s’était bien habitué à sa voix claire typée power/prog bien reconnaissable, qui contribuait fortement à l’aspect accrocheur des compos et des refrains. Mais il n’a jamais été le seul atout du groupe niveau chant. I.C.S. Vortex et Lars Nedland poussaient déjà la chansonnette régulièrement sur les albums précédents en plus de leurs autres groupes (Arcturus pour Vortex, Solefald pour Lars, entre autres), ils se partagent désormais à eux deux le micro, en plus de la basse pour l’un et des claviers pour l’autre. On se doute déjà qu’on reste bien loti. Personnellement, je ne vais pas mentir : si j’adore la voix de Vintersorg, je suis absolument amoureuse de celle des deux autres… et ça a forcément joué sur mon appréciation de l’album.
Et sans surprise, le plus ou moins nouveau duo fonctionne à merveille. Les vocaux harsh sont certes toujours anecdotiques en terme de quantité (avec 3 morceaux desquels ils sont complètement absents), mais lorsqu’ils sont là, ils sont encore plus efficaces que précédemment. Vortex excelle et nuance ainsi le côté mélodique et « friendly » avec des cris glaciaux et profonds, instaurant à certains moments un léger climat hostile et menaçant. Les lignes de chant plus progressives continuent d’être majoritaires – on ne change pas une recette qui marche.
Pour le chant clair, il est donc partagé entre Vortex et Lars Nedland : les deux se marient à merveille, assez similaires pour donner un résultat harmonieux tout en ayant chacun leur timbre propre – ils sont facilement distinguables. Chacun développe des lignes de chant fortement originales et personnelles, qu’elles soient plutôt entraînantes ou mélancoliques. Nombreux sont les passages où les deux compères chantent ensemble ou en canon, préservant ainsi un peu la richesse vocale qu’avait Winter Thrice où quatre voix se partageaient la vedette (Vintersorg donc, Kristoffer Rygg d’Ulver et ancien membre du groupe, Vortex et Lars). Et pour ceux qui ont du mal à accrocher au côté souvent théâtral de la voix de Vortex, celui-ci montre ici aussi une facette beaucoup plus douce et intime, notamment sur « Tidal » ou le bridge de « The fire that burns ». Si la qualité du chant a toujours été un atout chez Borknagar, c’est ici plus que jamais le cas : les passages les plus contemplatifs (« Tidal » par exemple) comme les plus porteurs ou accrocheurs (« Up North », certains passages de « Lights »…) sont mémorables. C’est un vrai plaisir d’entendre autant ces deux voix qui restaient jusque-là en second plan. L’album se finit d’ailleurs sur le magnifique « Voices », rappelant par ses allures folk une version épurée d’Origin, porté quasi uniquement par le chant de Nedland.
Bien sûr, on est en territoire connu. Les compositions sont familières, la recette bien rodée, même convenue, à force. Des morceaux s’étirant en longueur, préférant une structure progressive et évolutive, alternant passages directs, blasts et riffs en tremolo picking, et longues traversées planantes et contemplatives, mélodies mélancoliques, ou encore montée en intensité sur certains morceaux pour des refrains… Des pistes comme « The fire that burns » ou même l’ouverture « Thunderous » ne présentent ainsi en soi pas de surprises, mais restent tout de même diablement accrocheuses.
Et la musique semble toujours aussi descriptive, au-delà des lyrics assez explicites. On s’imagine parfaitement les sommets enneigés et les torrents glacés défilant à un rythme de croisière, un état d’émerveillement constant devant une nature pure, à l’état sauvage, sans merci mais belle à en pleurer. Le voyage musical vaut toujours le coup. D’ailleurs, la batterie ne fait que renforcer cet aspect, avec un jeu qui semble plus complexe que sur les derniers albums avec l’arrivée de Bjørn Dugstad Rønnow.
Autre élément indispensable d’un album de Borknagar, les synthés contribuent à ce côté mélodique et entraînant. Le fameux Hammon organ est d’ailleurs de nouveau de sortie, en particulier sur « Up North » et « Mount Rapture », donnant un petit côté rock 70s (en particulier pour le premier morceau mentionné). On retrouve aussi des cordes frottées, en particulier des violons qui ouvrent et ferment « Wild Father’s Heart », apparemment enregistrées par John Ryan de Cruachan, ajoutant au côté folk qu’on retrouve déjà sur quelques mélodies un peu partout dans l’album (« Thunderous », « Mount Rapture »…).
La singularité de True North se trouve certainement dans son hétérogénéité. Pas en terme de qualité, mais de direction musicale des morceaux. Contrairement aux très progressifs Epic et Universal, ou même à Winter Thrice, où on trouve une certaine direction commune, chaque morceau se distingue ici facilement des autres. « Thunderous » ouvre le bal de manière assez directe avant de prendre une tournure plus prog ; on peut aussi citer « Up North », si entraînant / rock’n’roll qu’il en est presque dansant, et où le chant de Vortex (en clean uniquement) se rapproche presque des passages les plus catchy des anciens Dimmu Borgir ou même de certains Arcturus. « Wild father’s heart » et « Voices » font un peu office de ballades intimes et touchantes, aux côtés des très progressifs « Into The White » et « Tidal ». Les changements intérieurs sont nombreux au sein des morceaux bien sûr, en particulier sur l’excellent « Lights » qui nous fait rapidement passer d’une émotion à une autre pour finir sur un point d’orgue où le chant clair de Nedland se double du chant black de Vortex pour scander les paroles. Efficacité garantie (sûrement mon passage favori de l’album). Bref, la variété de True North fait sa force, et différents morceaux ressortiront sûrement au cas par cas selon les sensibilités musicales de chacun.
La comparaison avec Quintessence semble assez facile… Mais si il faut le comparer à un album plus ancien, c’est plutôt The Olden Domain qui me vient en tête, à titre personnel. Et surtout, au-delà du retour de Vortex comme frontman comme sur Quintessence ou tout simplement du fait que c’est toujours Brun qui compose la majorité de la musique, True North ne sonne pas comme un retour en arrière. La production, les idées de compos, etc, le placent vraiment comme l’héritier de Winter Thrice et Urd.
Borknagar avance ici plus que jamais d’une force tranquille et assurée, de celles qui se nourrissent de décennies de succès et d’expérimentations pour continuer de créer des compositions finement ciselées. Résultat d’un travail d’orfèvre qui a su évoluer avec son temps, sans jamais vraiment perdre sa qualité ni son identité, True North paraît s’inscrire globalement dans la continuité de Winter Thrice tout en ouvrant sur de nouveaux horizons. Pour ma part, j’ai peut-être bien là un nouveau concurrent pour le bilan de fin d’année. Quoi qu’il en soit, la partiellement nouvelle bande d’Øystein Brun semble déjà bien solide, loin d’être prête à s’arrêter sur sa lancée d’excellence. Et on s’en réjouit !
Herja
8,5/10
Sortie le 27 septembre
Tracklist :
1 – Thunderous
2 – Up North
3 – The fire that burns
4 – Lights
5 – Wild father’s heart
6 – Mount rapture
7 – Into the white
8 – Tidal
9 – Voices