Aujourd’hui, il me tient tout particulièrement à cœur de vous parler du groupe Sur Austru, et de son premier album intitulé Meteahnă timpurilor, sorti il y a quasiment un mois chez le label italien Avantgarde Music. Pour ce faire, un rapide historique de la carrière de Negură Bunget s’impose. En effet, pour ceux et celles qui l’ignoreraient encore, l’histoire des deux formations, toutes deux originaires de Roumanie, est plus qu’étroitement liée.
Tout commence en 1995 dans la ville de Timișoara, où le batteur Gabriel Mafa (aka Negru) fonde ce qui deviendra sans nul doute le groupe pionnier de la scène black metal transylvaine, à savoir Negură Bunget. Mais à l’époque, je n’étais alors qu’une enfant, et j’étais bien plus intéressée par mes poupées et mes peluches, et me souciais bien plus de savoir si j’aurais mon sachet de chouquettes au goûter que d’écouter du metal, ce style dont j’ignorais encore totalement l’existence. Ce n’est que vingt ans plus tard que je découvre le groupe, qui officiait dans le black atmosphérique à tendance folk et progressive, avec son album Tău, qui constituait le premier volet d’une trilogie. J’avais d’ailleurs chroniqué celui-ci à sa sortie sur le webzine. Quatre mois plus tard, je voyais le groupe en live pour la première fois, lors du feu Ragnard Rock Festival, mais je n’en avais pas gardé un souvenir impérissable. Ce n’est qu’en octobre 2016 que j’ai pris véritablement conscience du talent de Negură Bunget, lors de la sixième édition du Beermageddon Fest. Malheureusement, seulement cinq mois après cette énorme claque, mes confrères metalleux et moi-même en prenions une autre, beaucoup moins agréable cette fois-ci, puisque l’on apprenait le décès du leader Negru. Naturellement, suite à cet événement tragique, Negură Bunget se sépare, après huit albums à son actif, et laissant ainsi une trilogie inachevée. C’est un an après qu’intervient Sur Austru, puisque le groupe est né des cendres de Negură Bunget dans la ville d’Arad. Pour être plus précis, Sur Austru compte trois anciens membres de Negură Bunget que sont Ovidiu Corodan à la basse, Petrică Ionuţescu aux instruments traditionnels, et Tibor Kati au chant, à la guitare et aux claviers. Viennent compléter le line-up Sergiu Nadaban à la batterie, Ionut Cadariu à la flûte, et Mihai Florea à la guitare.
Avec Meteahnă timpurilor (pouvant se traduire par « Défaut du temps »), la comparaison avec Negură Bunget, mais aussi avec Dordeduh, est bien entendu très tentante. Pour commencer, on remarque que les thèmes abordés dans les paroles (intégralement chantées en roumain) sont plus ou moins similaires à ceux de ces deux groupes. En effet, tirant son inspiration et ses émotions de l’esthétique de la nature, des traditions ancestrales et des rituels oubliés, Sur Austru propose un voyage intemporel vers les paysages mystiques de Transylvanie. Le style musical entre les trois formations est également assez semblable, puisque Sur Austru se définit comme groupe de « Transylvanian Black Metal ». Toutefois, dans les faits, on pourrait davantage utiliser l’appellation « Folk/death atmosphérique », tout simplement parce que le chant adopté est majoritairement typé « death ». En revanche, en ce qui concerne le rythme et le type de riffs généralement employés, on a bel et bien affaire à du black atmosphérique.
Meteahnă timpurilor est composé de huit pistes, allant de 3min29 à 11min14, mais la durée moyenne des morceaux est plutôt située entre cinq et six minutes. L’album s’ouvre sur « De Dincolo de munte » (pouvant se traduire par « Au-delà de la montagne »), qui avait été le premier extrait dévoilé avant la sortie de l’album. Dès l’introduction, on cerne d’emblée le côté folk et mystique, véhiculé par la trâmbiță (instrument à vent de la musique roumaine et moldave ressemblant au didgeridoo, mais le son produit est plus proche du trombone), le nai (flûte de pan diatonique roumaine) et les chœurs. Voilà un premier point qui, à titre personnel, me séduit beaucoup, les instruments traditionnels utilisés sont bien typiques de la contrée du groupe. La guitare, menaçante, ainsi que les grondements espacés de la batterie, font ensuite leur entrée. Je disais plus haut que dans l’album, le chant était essentiellement growlé, mais ici, celui-ci est devancé par le chant clair. Cela peut paraître plutôt surprenant, on peut sentir par moments des influences orientales. Pourtant, quand on connaît un tant soit peu la Roumanie, la culture turque y est assez ancrée. On retrouvera ces touches orientales un peu plus tard sur l’album, notamment dans l’interlude folk/ambiant « Jale » (« Deuil », « chagrin »), dans lequel se mêlent claviers aériens, flûte et percussions. Pour en revenir à « De Dincolo de munte », l’ensemble paraît assez ambiant, mais ce n’était sans compter sur l’explosion black associée à un growl death agressif. Le morceau se conclut sur un passage plus posé avec une voix narrative.
Dans le deuxième morceau, « Puhoaielor » (« Leurs Torrents »), le tintement des cloches dans l’introduction nous donne très vite l’impression d’être au beau milieu des pâturages transylvains, puis l’explosion black atmo/ambiant menée par le growl (alterné avec les chœurs graves), avec la flûte en arrière-plan, semble recouvrir ces vallées d’un épais nuage de brume. On peut également noter dans certains riffs des touches presque avant-garde (que l’on retrouvera aussi dans « In Timp Vernal » (« Pendant le printemps ») lors d’un passage « doom folk expérimental »).
Nous passons ensuite à « Mistuind » (« Brûlant », « consumant »), qui est clairement l’un de mes morceaux préférés de l’album, pour être l’un des plus mélancoliques. Après une introduction aux claviers (prenant la sonorité de chœurs aériens féminins et masculins) et aux percussions, les riffs se veulent plus traînants, tirant davantage sur le doom. Tout comme les claviers, la flûte est éthérée, et growl, chant clair et chœurs s’alternent. Le morceau connaît une ultime accélération black évoluant en final épique, toujours mené par le chant clair et les chœurs.
Le morceau suivant, « Bradul Cerbului », a lui aussi retenu toute mon attention, pour être le parfait opposé de « Mistuind ». En effet, le contraste dans le tempo entre les deux morceaux fait son petit effet, et l’accélération death atmo menaçante et agressive nous tire de notre torpeur.
« Dor Austru » fait suite à l’interlude « Jale », et là aussi, les deux morceaux se font contraste, mais par leur durée cette fois-ci, puisque le morceau le plus court et le plus long s’enchaînent. On peut donc s’attendre à ce que la dimension progressive soit importante dans « Dor Austru ». Tout au long du morceau, les passages folk/ambiant plus mélancoliques et mystiques, et les passages sombres et agressifs s’alternent. A la fin, les mélodies des claviers et de la flûte créent un sentiment mêlant inquiétude et tristesse, et l’on croirait presque entendre un certain « Shine On You Crazy Diamond » dans une version folk roumaine.
Le printemps pointe le bout de son nez avec « In Timp Vernal », morceau rentre-dedans introduit par des riffs sombres en mid-tempo. Pour la première fois, on peut y entendre une pointe de chant black (que l’on retrouvera aussi dans le dernier morceau « Jabracie » après des chœurs chamaniques). Parlons justement de « Jabracie », qui était le second extrait dévoilé par le groupe avant la sortie de l’album. Le ton se veut sombre et menaçant, bien que la flûte fasse contre-poids en ajoutant une touche mystique et mélancolique. Là encore, growl et chœurs se mêlent, mais c’est sur ces derniers que l’album prendra fin.
Sur Austru réalise un coup de maître avec son premier album en perpétuant la mémoire de Negru, sans pour autant tomber dans le mimétisme total. Meteahnă timpurilor peut être vu comme un très bel hommage au leader défunt de Negură Bunget, et comme le chaînon manquant de cette trilogie qui était restée inachevée.
Fée Verte
9/10
Tracklist :
1. De Dincolo de munte
2. Puhoaielor
3. Mistuind
4. Bradul Cerbului
5. Jale
6. Dor Austru
7. In Timp Vernal
8. Jabracie
Sortie : 10/09/2019
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