L’association Black Speech Production nous proposait un joli plateau folk ce mois-ci avec plusieurs dates en France dans le cadre de la tournée européenne « The Fall 2022 ». On y retrouvait en tête d’affiche un des groupes emblématiques de la scène folk rock suédoise, Garmarna, accompagné par les Barcelonais de Trobar de Morte. Pour les dates françaises, c’est la formation toulousaine Wegferend qui assurait la première partie. La dernière date de la tournée s’est tenue hier soir à Paris sur la salle de concert flottante du Petit Bain. J’arrive peu avant l’ouverture des portes prévues à 18h30, il n’y a pas encore beaucoup de monde, l’accès au premier rang s’est fait sans grande difficulté.
Avec un peu d’avance, Wegferend entre en scène. Thomas Boissier et Manon Cazaméa, respectivement au tambour basse à double peau (portant également le nom rigolo de « grosse bête ») et aux guitares six et douze cordes, donnent le coup d’envoi et sont rejoints par la chanteuse Alexia Cazaméa. Pendant une demi-heure, le trio nous transporte à travers sa musique folk onirique, dans une ambiance sylvestre entre contemplation et méditation. De son timbre lyrique, Alexia interprète les textes essentiellement en anglais, mais également en français, et évidemment dans la langue locale du sud-ouest qu’est l’occitan. La démarche m’a beaucoup fait penser à Gofannon et Unnamed Season. Si le groupe s’inspire fortement de la musique traditionnelle, l’énergie dégagée se rapproche beaucoup de ce que l’on peut retrouver dans le metal, certains passages me faisant penser à un Alcest à la sauce folk trad’. Le public s’est montré réceptif et tapait des mains au rythme du tambour. Les Toulousains auraient tout à fait leur place au Cernunnos Pagan Fest ou au Lid Ar Morrigan, le message est lancé !
Pour son deuxième passage à Paris, le trio a interprété en ouverture et en clôture de set deux titres issus de son premier EP En Autremonde – Chapitre Premier sorti en 2019. Les trois morceaux centraux ont été joués en exclusivité puisqu’ils apparaîtront sur le premier album à venir intitulé En Autremonde – Chapitre Second. Le groupe s’appuie sur des légendes et mythes pour illustrer des histoires vécues ou actuelles. Le morceau « Jos l’Uèlh de la Breissa » (en occitan, « Sous l’œil de la sorcière ») parle de ces femmes des bois très présentes dans la mythologie occitane qui peuvent paraître inquiétantes de prime abord, mais qui peuvent pourtant se montrer altruistes. Il s’agit d’une métaphore de la perdition sociale actuelle et la breissa illustre ici la nature profonde des choses et de l’Humain qu’il faut aller chercher pour se transcender.
Les trois membres du groupe se sont montrés très polyvalents tout au long du set. Thomas troquait par moments ses percussions contre le tin whistle, la mandole, et même un autre instrument très curieux puisqu’il s’agissait d’une conque ! Le musicien chantait aussi sur le début de « Jos l’Uèlh de la Breissa ». Alexia jouait de la flûte à bec, une alto et une soprano, et a donné le coup de cymbale final sur « Jos l’Uèlh de la Breissa ». La demoiselle s’est associée à Manon au fut pour le long titre final « L’Ost Est En Marche ». La découverte fut très bonne pour ma part, au plaisir de revoir le groupe prochainement sur un set rallongé pour avoir droit à une plus grande variété d’instruments traditionnels sur scène !
SETLIST : Nothing but the Rain / Holy Ghost / Jos l’Uèlh de la Breissa / Lost in Reveries / L’Ost Est En Marche
Peu avant 20h, la troupe catalane Trobar de Morte entre en scène et entame un rituel païen sur le titre d’introduction « La era de las brujas » suivi de « Zugarramurdi », tous deux issus du bien nommé Witchcraft puisque les deux morceaux font référence aux fameuses sorcières. La mise en scène est vraiment très belle, de l’encens et des bougies brûlent, des fleurs, un crâne de bovin ainsi qu’un grimoire ornent le pied de micro. Des jets de fumée sont déclenchés de temps à autre. La tête pensante du projet Lady Morte apparaît tout en beauté dans sa longue robe rouge. La demoiselle est accompagnée d’un guitariste électrique, d’un batteur, d’un sonneur et flûtiste, et d’une violoniste. Lady Morte est une artiste complète puisqu’en plus de composer les morceaux, elle joue du bouzouki, de la vielle à roue et du whistle.
Le groupe propose une musique folk mystique et ésotérique, parfois entraînante aussi. Ce qui fait la singularité de Trobar de Morte sur scène, ce sont les nombreuses apparitions d’une danseuse qui font d’elle un membre du groupe à part entière. Amaru Sabat exécute des danses tribales fortement ancrées dans la tradition hispano-mauresque. Castagnettes ou tambourin en main, on reconnaît des sonorités de flamenco, mais également orientales, mises en scène par une danse du ventre lors de laquelle Amaru et Lady Morte s’associent. Les deux demoiselles entament ensuite une danse du sabre suivie d’une danse des poignards. Le groupe m’a tout simplement bluffée, je ne m’attendais absolument pas à assister à un tel spectacle et je pense m’en souvenir très longtemps, c’était vraiment très beau et émouvant !
SETLIST : La era de las brujas/Zugarramurdi / The Black Forest / Sister of the Night / Idunn / Morgana / Sacrifice / The Sorceress / Summoning / Witches’ Joy Reaps Your Soul / Cuncti Simus Concanentes
A 21h, le « gros morceau » de la soirée entre en scène. Depuis les années 90, Garmarna s’est imposé comme l’un des groupes phares de la scène folk rock en Suède et à l’international, et se démarque en intégrant dans certaines compositions des touches electro. J’ai découvert le groupe il y a plusieurs années grâce à l’excellente reprise de « Herr Mannelig » par In Extremo. Le groupe prend la forme d’un quintet composé d’une chanteuse, d’un bassiste, d’un altiste, d’un guitariste et d’un batteur. L’intégralité des paroles sont chantées en suédois. Le groupe faisait la promotion de son sixième album Förbundet paru en 2020 chez Season of Mist et a dans le même temps fait un joli tour d’horizon de sa discographie.
Le groupe s’inspire fortement du folklore suédois, notamment de contes, poèmes et ballades. La chanteuse Emma prend régulièrement la parole pour nous expliquer l’histoire des morceaux et nous ne pouvions nous empêcher de rire quand nous avons compris que les histoires du folklore suédois se terminent bien souvent dans le sang et en meurtre familial. La musique de Garmarna m’a beaucoup fait penser à un mélange entre le répertoire folk de Myrkur et une version adoucie de Månegarm. Lorsque Emma, Stefan et Gotte chantaient tous les trois en chœur, c’était vraiment très intense. Par contre, même si le guitariste Gotte a bien assuré le show, nous le soupçonnions très fortement d’être totalement torché, mais il s’est avéré que pas du tout, c’est son attitude naturelle sur scène ! En tout cas, tous les musiciens se sont montrés extrêmement énergiques et pleins de bonne humeur, et c’est ce qui comptait !
En milieu de set, Emma annonce une ballade médiévale suédoise qui parle d’une femme troll qui propose à un chevalier de l’épouser dans l’espoir de devenir humaine. Je devine immédiatement qu’il s’agit du fameux morceau « Herr Mannelig », et même si j’étais très contente de l’entendre, je ne m’attendais pas à ce que le groupe le joue aussi tôt, ce qui a eu pour effet d’atténuer la magie du moment. Il aurait été plus stratégique de l’interpréter en fin de set pour que le public soit davantage en ébullition. Malgré tout, cela n’enlevait en rien la beauté de la chanson.
Lors du rappel, Gotte a troqué sa guitare contre le violon, tandis que Stefan a délaissé son violon alto pour jouer de la vielle à roue. Les deux musiciens n’hésitaient pas à se mettre au bord de la scène, au plus près du public. Le set a tout de même duré une heure et demie, mais je n’aurai pas vu le temps passer. Un immense merci aux trois groupes pour cette superbe soirée, ce concert fera partie à coup sûr de mes préférés de l’année, voire de tous ceux que j’ai pu faire jusqu’à présent !
SETLIST : Två Systrar / Ramunder / Ingen / Vänner och fränder / Bläck / Timmarna / Väktaren / Sven i Rosengård / Herr Mannelig / Euchari / Gamen / Nåden / Vedergällningen / Över Gränsen / Herr Holger / Klevabergselden