Il y a des groupes et des albums dont on a du mal à décrire ce que l’on ressent lorsque nous les écoutons, et ce, car l’on a déjà du mal à définir à quel(s) style(s) musicaux ils appartiennent. Très souvent, ces groupes possèdent une identité atypique, qui les distingue de la masse, ou bien brassent tellement d’influences qu’il est souvent difficile de trouver une quelconque homogénéité dans leur musique. Et parmi ces groupes, beaucoup sont ceux que l’on range dans les catégories “progressive”, “expérimentale” et “avant-garde”, tant d’étiquettes obscures et fourre-tout où l’on peut aussi bien trouver du metal traditionnel, des groupes aux influences plus modernes, mais aussi des formations puisant leurs origines dans le metal extrême.
Le groupe dont nous allons parler aujourd’hui appartient clairement à la dernière catégorie, prenant sa source dans le Black Metal pour y incorporer diverses influences extérieures, allant du prog au free jazz en passant par la musique folk, le tout exécuté avec un savoir-faire certain en matière d’atmosphères psychédéliques et de rythmiques dissonantes. Une entité étrange et protéiforme, répondant au nom de Bergraven. Fondé en 2002 par le Suédois Par Gustafsson, également maître à penser de Stilla, Bergraven constitue l’un des nombreux groupes emblématiques de l’écurie suédoise Nordvis (avec entre autres Grift, Armagedda et Saiva pour ne citer que les plus connus).
Cette année voit donc la formation de Malmö revenir avec un nouvel album, dix ans après le très sombre Til Makabert Vasen sorti en 2009. Le sieur Gustafsson avait donc besoin de revenir à la phase la plus expérimentale de sa musique, après avoir sorti plusieurs albums avec son autre projet Stilla, cette fois-ci dans une veine beaucoup plus crue, épique et folkish.
Le musicien nous sort donc cette année Det Framlidna Minnet, nouvelle œuvre schizophrénique dont le titre, que l’on peut traduire par “la mémoire laissée”, nous laisse entrevoir le thème de ce nouvel album, qui comme sur les précédents, prend sa source dans la psychologie humaine et le subconscient, tout l’album pouvant être vu comme un voyage initiatique pour l’auditeur, qui à l’image du petit garçon présent sur la pochette, sera confronté à affronter les souvenirs et les moments (douloureux ou non) de son passé enfouis au plus profond de son être et de son inconscient.
L’introduction qu’est “Minnesgåva”, avec son atmosphère psychédélique et ses notes de vibraphone, offre à l’auditeur une porte d’accès pour comprendre l’univers global dans lequel sera baignée la musique du groupe. A l’image d’une séance d’hypnose, ce titre nous incite à nous concentrer sur la musique, et uniquement sur la musique, afin de ne pas être perdu devant la diversité et la complexité sonore de l’ensemble.
Car oui, s’il y a bien un facteur à prendre en compte sur cet album, c’est bien sa diversité et son éclectisme. En effet, les huit morceaux de Det Framlidna Minnet baignent dans une ambiance relativement sombre et torturée, donnant à l’auditeur l’impression de se perdre (à l’image de la pochette) dans un décor sylvestre sombre, brumeux et inquiétant un soir d’automne, tourmenté par les souvenirs de son passé, le tout représenté par des compositions déstructurées et complexes où se mêlent atmosphères psychédéliques, rythmiques dissonantes, arpèges de guitares très proches du dark folk et envolées free jazz complètement folles. Oui, tout cela à la fois.
Et si la pluralité des influences du groupe peut nous apparaître comme étant un obstacle à la compréhension de sa musique, il n’en est finalement rien, chaque élément apportant à sa manière un plus à l’ensemble, tout en restant bien entendu au service de l’ambiance sombre que veulent nous communiquer les Suédois.
L’aspect décousu et dissonant de la musique d’abord, contribue à alimenter l’atmosphère torturée et schizophrénique présente tout au long de l’album, un côté déstructuré et expérimental qui peut faire écho à certains travaux de la scène Avant-Garde norvégienne, et plus particulièrement à Ved Buens Ende et son Written in Waters, un aspect tortueux qui se prête très bien à la thématique psychologique du disque, la musique étant, à l’image de l’esprit humain, complexe et très nuancée.
Un aspect torturée et schizophrénique qui ressort également à travers les lignes de chant, très expressives, qui se démarquent de par leur nature tantôt angoissée et plaintive, tantôt théâtrale et narrative, nous transmettant des émotions telles que la peur, l’angoisse et la crainte d’être confronté à ses souvenirs, à cette mémoire laissée que l’on aurait préféré garder enfouie au plus profond de nous-même, afin de laisser notre esprit préservé de toute perversité. Le chant, ainsi que l’atmosphère dérangée de l’album, nous font également penser à Shining, mais plutôt aux derniers albums du groupe de Niklas Kvarforth, là où les ambiances noires et dépressives sont noyées dans un agglomérat d’influences Rock’n’roll, Blues … et Jazz.
Car comme dans les derniers albums de Shining, le côté BM est ici dilué dans l’approche expérimentale et dissonante qu’a Bergraven de sa musique, bien que certains passages beaucoup plus organiques et directs, à base de blast beats et de riffs efficaces, permettent d’apporter un peu plus d’agressivité et de spontanéité, et ce, afin d’aérer un ensemble somme toute assez complexe et étouffé. Malgré cela, la folie et la décadence restent les maîtres mots, et les nombreux passages psychédéliques, voire free jazz, avec notamment du vibraphone et du saxophone, contribuent à renforcer l’aspect chaotique, voire mélancolique et mystique de certaines parties, qui, par la décadence et la folie qui s’en dégagent, peuvent nous rappeler l’univers décalé d’un Pensées Nocturnes, avec tout de fois un aspect bien plus intimiste.
Un côté intimiste que Bergraven parvient malgré tout à disséminer à travers sa musique, grâce à des passages de flûte très planants et à des arpèges de guitares très folk et jazzy, apportant un peu de légèreté à ce magma sonore dissonant et expérimental, une légèreté qui évoque les parties les plus lounge et jazzy de certains albums d’Opeth, mais un Opeth qui aurait renié son identité poétique et romantique pour se vêtir d’oripeaux plus dérangés et malsains. Car en effet, malgré ces petites touches de lumière et de légèreté dans la musique du groupe, comme avec ces mélodies de guitare lancinantes et aérées sur la fin du disque, qui peuvent nous évoquer le psychédélisme d’un Blut Aus Nord période Cosmosophy, tout l’album suit généralement la même trame tortueuse, dissonante et expérimentale, un aspect qui pourra laisser perplexe et dérouter, mais qui, si l’on prend le temps de s’y attarder, saura révéler à l’auditeur toutes ses nuances et toutes ses subtilités.
Bergraven accouche sûrement là de son œuvre la plus complexe, éclectique et tortueuse. Une oeuvre qui, par bien des aspects, peut être identifiée à l’esprit humain. Tour à tour tranquille et apaisée, tourmentée et chaotique, grandiloquente et dramatique, mais dont la finalité vous fera voyager dans les méandres les plus sombres et insoupçonnés de la psychologie humaine. A vos risques et périls.
Varulven
Sortie le 8 mars 2019
Tracklist:
1- Minnesgålva
2- Allt
3- Det Följsamma Plågan
4- Minnets Melankoli
5- Leendet Av Hans Verk
6- Den Dödes Stigar
7- Til Priset Av Vårt Liv
8- Eftermäle
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