Pour son cinquième album studio, Baldrs Draumar renouvelle l’expérience acoustique, trois ans après l’album metal Magnus et cinq ans après le premier essai très concluant Fan Fryslâns ferline. Depuis sa formation en 2008, le groupe a pour mission païenne (pour ne pas dire divine) de faire perdurer à travers ses chansons l’histoire et la culture de sa terre natale qu’est la province de Frise, actuellement située au nord des Pays-Bas.
Composé de dix morceaux pour une durée de 42 minutes, Njord n’échappe pas à la règle. Bien plus qu’un simple voyage musical et historique, l’album prend la forme d’un authentique conte épique. Baldrs Draumar définit d’ailleurs sa musique de « genuine Frisian folk » (« folk frison authentique »).
Pour poser rapidement le contexte, Njord relate l’épopée d’un groupe de Frisons qui refusaient d’abandonner leurs traditions et leurs dieux. En 1060, lorsque la Frise a commencé sa conversion au catholicisme, un petit groupe d’irréductibles ont préféré fuir et prendre la mer, sans savoir ce que l’avenir leur réserverait. Finalement, ces hommes se sont installés sur les îles Féroé et ont commercé avec la population locale. C’est à Akraberch qu’ils ont perduré jusqu’en 1500, quand la peste les a presque tous décimés.
En véritables scaldes des temps modernes, le quartet frison offre une certaine diversité, du titre épique au rituel, en passant par des morceaux entraînants et les traditionnelles chansons à boire, toujours avec une grande sincérité, notamment grâce à l’utilisation de plusieurs instruments traditionnels. On retrouve plus fréquemment la guitare acoustique, diverses percussions, le bouzouki, la flûte et l’accordéon. La variété des morceaux apparaît comme un reflet de la vie des Frisons, qui vivaient tantôt de grandes aventures, tantôt des gais moments de beuverie, ainsi que des célébrations païennes, mais aussi des coups durs.
Le titre d’ouverture éponyme, faisant référence au dieu de la mer guidant les Frisons, plante le décor : suite à une intro lancée par le cor de chasse et les tambours, les orchestrations épiques s’installent progressivement, avant de laisser place au chant clair de Wildgeraesch, accompagné par la guitare et secondé par des chœurs. « Njord » apparaît comme une parfaite illustration de morceau épique sur l’album, au même titre que « Skalden », faisant écho au devoir de mémoire qu’ont les musiciens de Baldrs Draumar en tant que scaldes, ces ménestrels de l’ère viking.
Comme évoqué plus haut, on retrouve quelques titres entraînants, à l’instar de « Thús op see » qui établit une métaphore de la mer comme foyer pour le peuple frison. Les sonorités des orchestrations évoquent d’ailleurs très justement l’univers de la piraterie. Vient le temps des réjouissances avec la célébration de Yule. L’intro sautillante au bouzouki frôle la country, et le combo flûte/guitare souligne cet air festif. Ce qui est intéressant, c’est que « Eastre », deuxième titre sur le cycle des saisons, soit interprété sur un ton plus mélancolique et sur un tempo plus lent, alors que le retour du printemps était vécu comme une fête païenne emblématique. Tout comme « Jûl », « Fan keardel en skiep » est une chanson à boire par excellence menée par une flûte et un bouzouki entraînants. Elle relate une anecdote comique vécue lors d’un festival au Danemark par Dondervuyscht, le batteur de Baldrs Draumar, et qui a été transposée pour l’histoire de l’album à l’ère viking : « Fan keardel en skiep » fête l’arrivée à bon port des Frisons sur les îles Féroé et l’un d’eux était tellement saoul qu’il s’est endormi avec un mouton, le prenant pour une femme attirante. Autant dire que la surprise au réveil fut rude pour notre Frison ! Moralité : toujours avec modération ! Afin de renforcer le comique de situation, les musiciens de Baldrs Draumar imitent en chœur le bêlement du mouton.
Au-delà des titres plus mélancoliques comme « Akraberch », faisant référence au cap d’Akraberg où se sont installés les Frisons, on retrouve des morceaux spirituels et incantatoires rappelant Wardruna, à l’image de « De lêste Fries », qui, comme le titre le laisse supposer, fait référence à la mort du vieux fermier, le dernier Frison, et qui annonce le titre « Sieltocht », tout aussi spirituel puisqu’il expose le cycle de la vie, les quatre états de l’âme : Hamr, Fylgja, Hugr et Hamingja. Bien que la base du morceau final « Wat nea fergjet » soit épique et entraînante, on décèle un soupçon de mélancolie. Tout périt un jour, sauf une chose : les croyances païennes.
Il reste à mon sens un élément crucial à aborder, d’ordre vocal et linguistique. A noter tout d’abord la remarquable performance de Wildgeraesch qui déploie une large palette vocale, allant même par moments jusqu’au chant guttural rappelant les influences folk/viking metal du groupe, comme sur « Sieltocht ». Ses acolytes Vuurschpuwer et Zuypschuyt le secondent souvent de leurs choeurs épiques, comme sur « Skalden ». Par ailleurs, ma passion pour les langues est largement assouvie grâce à Baldrs Draumar puisque comme à leur habitude, pour plus d’authenticité, les paroles sont chantées en frison. Bien curieusement, bien que cet idiome régional nous soit totalement étrangère, la ressemblance avec des langues plus communes telles que l’anglais, l’allemand, et bien sûr le néerlandais, est souvent saisissante. On peut par exemple traduire sans trop de difficultés certains titres comme « Thús op see » (« Ici en mer »), « De lêste Fries » (« Le dernier Frison »), « Wat nea fergjet » (« Ce qui n’oublie jamais »), sans parler des titres évocateurs comme « Njord », « Jûl » et « Eastre ». La traduction de « Fan keardel en skiep » et de « Sieltocht » est moins évidente (respectivement « L’homme et le mouton » et « Voyage de l’âme »).
Ce deuxième épisode acoustique est une réussite pour Baldrs Draumar, qui prouve une nouvelle fois que le groupe excelle aussi bien dans la discipline acoustique qu’électrique. La démarche est néanmoins bien différente. Les albums metal retranscrivent davantage le côté guerrier et énergique du peuple frison, tandis que les albums acoustiques confèrent à Baldrs Draumar le rôle de barde viking.
Fée Verte
10/10
Tracklist :
1. Njord
2. Thús op see
3. Jûl
4. Eastre
5. Akraberch
6. Skalden
7. Fan keardel en skiep
8. De lêste Fries
9. Sieltocht
10. Wat nea fergiet
Sortie : 19/11/2022
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