Cela va peut-être vous étonner, mais cela faisait deux ans et demi (près de 950 jours !) que je n’avais pas assisté à un concert de metal. Autant le dire de suite: ça commençait à me manquer.
Justement, j’ai pu avoir l’occasion de retrouver le bon vieux son des grattes grâce au concert d’Arka’n Asrafokor donné à l’Espace Django de Strasbourg ce mardi 11 octobre 2022. Ce nom ne vous dit absolument rien ? Pas de panique, vous allez vite comprendre de quoi il est question.
Avant d’aller à la salle proprement dite (dont je découvre totalement l’existence d’ailleurs), je décide de faire un tour à un musée assez méconnu en France : le musée Vodou (merci du tuyau Patrick Baud).
J’arrive donc vers 14h et je prends le tram (ligne C, puis ligne F pour les curieux) direction rue de Koenigshoffen.
Je rentre donc vers 15h dans cet ancien château d’eau, construit entre 1878 et 1883 pendant la domination allemande. Il présente la particularité d’abriter une des plus grandes collections d’objets vaudous d’Europe, voire du monde !
Pour éviter de trop spoiler, je dirai que j’ai passé un excellent moment à admirer tous ces objets rapportés par Marc Arbogast (ancien PDG de Fischer) et sa femme Marie-Luce durant leurs voyages en Afrique de l’Ouest (Togo, Bénin, Nigéria et Ghana).
L’ambiance est toute aussi mystique et les histoires racontées sur les panneaux et dans l’audioguide (compris dans le prix !) sont pour la plupart fascinantes, voire insolites. On apprend énormément de choses sur la religion vaudou. Franchement, je vous recommande vivement d’y aller si vous êtes de passage à Strasbourg.
En lisant tout cela, peut-être vous êtes-vous posé la question de la finalité de mon propos. Oserai-je raconter des choses totalement hors de contexte ? Que nenni, rassurez vous ! La suite de cet article va vous permettre de faire le lien.
Il est 18h lorsque je reviens près de la salle de concert. Un Leclerc est à proximité, donc je décide de m’acheter à manger et de consommer mon repas. Il est 19h lorsque j’arrive devant la salle encore fermée. Et…je suis seul ! Etonné, je fais le tour pour voir s’il n’y a pas d’autres entrées et donc d’autres personnes qui attendent. J’en conclus que non il n’y a qu’une entrée, donc je suis la première personne arrivée sur place.
Petit à petit, d’autres gens arrivent au compte-gouttes. Alors que je patiente devant la porte, un monsieur vient m’accoster en me demandant des infos sur les tarifs des billets. Je lui réponds ce que je sais et nous commençons à discuter. Celui-ci me dit soudainement : « Ah mais c’est extraordinaire qu’ils jouent ici ! Je n’ai pas hésité une seule seconde à venir. En plus, ce sont des amis d’enfance ». Carrément ! Il me confirme qu’il connaît le chanteur d’Arka’n depuis l’adolescence et que celui-ci n’allait jamais quelque part sans sa guitare. Il me décrit alors la passion qu’animait Kodzo « Rock » à cet âge-là. Comme quoi, avec les rencontres fortuites, on apprend des choses sur le groupe !
Il est donc 20h lorsque les portes s’ouvrent. Je montre mon billet précommandé et je me dirige vers la salle. Pendant près de 30 minutes, je suis presque seul puisque tout le reste du public est au bar ! Je me place donc le plus devant possible pour avoir une bonne visibilité.
Il est 20h50 (donc avec 20 minutes de retard) lorsque Ckraft commencent leur tour de chauffe. Le leader et accordéoniste Charles Kieny rentre en premier, branche son instrument et entame les premières notes. Le guitariste, le batteur et le bassiste lui emboîtent le pas, suivi du…saxophoniste !
Originaire de Paris, Ckraft (prononcé kraft) propose un mélange entre du metal et du jazz avec (selon leurs termes) quelques touches grégoriennes. Sur le papier, ça peut intriguer, mais en live ça dépote !
Avec son accordéon augmenté, Charles Kieny est donc le maestro qui tient la baguette. Ses sonorités un peu électro donnent une tonalité moderne à la musique du groupe. On retourne des fois dans le passé avec ces fameuses notes grégoriennes dont il raffole. Charles prend quelques fois la parole en public, mais pas trop pour ne pas « trop nous ennuyer » et donc laisser la place à la musique.
Le mélange des genres est ce qui surprend le plus. On entend que c’est du jazz par les mélodies et rythmiques complexes. Mais on entend aussi que c’est du metal par un curieux mix de djent, progressif, death…Tout ça sans une seule parole chantée ! C’est là aussi une des particularités de Ckraft. Le son des guitares est bien présent, le saxophone permet d’alléger l’atmosphère et nous transporter dans les années 30. Mais c’est surtout le jeu du batteur qui m’interpelle par sa grande précision et ses variations. Mieux vaut bien suivre la cadence lorsqu’on joue du jazz…
Etant donné que le groupe est jeune, l’ensemble de la setlist est composée de titres de leur seul album à ce jour sorti en juin dernier (et dispo notamment sur Bandcamp). Epic Discordant Vision porte d’ailleurs plutôt bien son nom !
C’est vers 22h15 que le set de Ckraft se termine en apothéose. Le jazz n’est pas tant ma tasse de thé que cela, mais j’avoue avoir beaucoup apprécié le fait de voir quelque chose de différent en live !
Pendant l’entracte, j’en profite pour me désaltérer au bar puis je pars assister à la préparation de la scène d’Arka’n Asrafokor qui au final ne dure pas si longtemps que cela.
Il est environ 22h30 lorsque retentit au lointain un chant africain masculin pour le coup préenregistré. Quelques percussions l’accompagnent et les lumières de la scène sont d’un bleu rappelant la nuit. On se croirait dans un village du Togo en plein milieu de la nuit. Un à un, les membres d’Arka’n Asrafokor rentrent sur scène dans leur attirail guerrier, avec les peintures ancestrales blanches dessinées sur les bras et le visage, ainsi que leur costume blanc ou noir. Seul le chanteur porte une sorte de tunique brune avec des motifs de toutes les formes.
lls n’ont rien fait que je suis déjà sous le charme de la mise en scène. Soudain, le percussionniste Mass commence à jouer de ses percussions accompagné du batteur Siko. Et toute la machine se met en marche.
J’avais déjà eu l’occasion de présenter le groupe ici, mais je vais faire un petit résumé pour les quelques uns du fond de la classe qui n’ont pas écouté mon exposé.
Arka’n Asrafokor c’est tout d’abord l’audace d’un homme, Kodzo « Rock » Ahavi, qui en 2010 se lance dans le projet fou de monter un groupe de metal, alors que le Togo n’est pas connu comme étant une « terre de metal » (comme la Suède, les Etats-Unis, etc.) mais plutôt comme un des berceaux de la religion vaudou. Vous voyez où je voulais en venir dans la première partie de ce live report ? Oui c’était en quelque sorte une mise en bouche…
Une question se pose alors : et si on faisait tout cohabiter ? Ne peut-on pas mélanger les influences pour ne faire qu’un seul son ?
Vous l’aurez compris, Arka’n Asrafokor c’est un curieux mélange entre le metal et la musique traditionnelle africaine. On entend alors plusieurs types d’ambiances et cela s’est ressenti pendant le concert.
D’abord, il y a cette ambiance dansante. Avec les riffs très bourrins de Rock et les percussions de Mass, on a à la fois envie de headbanguer mais aussi de bouger un peu du bassin. Dur de choisir entre les deux. Puis, il y a une ambiance traditionnelle mise en valeur par les percussions mais aussi grâce au chant. La plupart du temps, le chant clair se fait en éwé soit en solo grâce à Mass, soit en chœur lorsque Rock, Mass et Elom se joignent ensemble. Enfin il y a cette ambiance guerrière qui est surtout mise en exergue par le metal. Les riffs sont rentre-dedans, le chant d’Elom et de Rock est agressif et la batterie est telle un rouleau compresseur. Bref, c’est un joyeux melting pot. Et c’est cela qui rend le tout intéressant.
Les chansons présentées sont en majorité issues de leur seul et unique album à ce jour Zã Keli sorti en février 2019 (dispo notamment sur Bandcamp). Bien entendu toutes mes préférées passent comme « Awala », « Return of the Ancient Sword », « Tears of the Dead »…Et dans le lot il y a une chanson en français « Les Peuples de l’Ombre » qui est aussi une de mes préférées ! Lorsqu’ils la finissent, le chanteur dit alors « c’est la seule chanson en français », comme s’il était désolé. Mais non, ne sois pas désolé voyons !
Et comble du bonheur, quelques chansons interprétées sont inédites. Un des moments les plus émouvants est lors de la chanson « Mamade » (l’orthographe est certainement incorrecte, j’en suis navré…). Le jeu de lumière intimiste ainsi que le calme de la chanson nous emmènent totalement ailleurs.
Et c’est justement là la force d’Arka’n Asrafokor : emmener l’auditeur dans un monde empreint de mystères et de magie, mais qui a surtout ses qualités et ses problèmes actuels. C’est une façon en quelque sorte de sortir des sentiers battus.
C’est après « Warrior Song » (choisie par nous, le public !) que le groupe achève son spectacle et se retire non sans avoir fait les présentations des musiciens et une petite photo souvenir. Je ne sais pas pourquoi, mais le bassiste Francis a été particulièrement acclamé (« Francis ! Francis ! »). Comme quoi, il y a certaines choses que je n’explique pas…
Personnellement, j’ai adoré assister à ce genre de concert pour la première fois. Je trouve ça absolument prodigieux qu’un groupe comme Arka’n Asrafokor arrive à se faire connaître au delà de son pays et nous offre une musique de qualité. Croisons les doigts pour qu’ils aillent le plus loin possible. Et je trouve surtout ça génial que l’Espace Django ait pu leur offrir l’opportunité de jouer en leurs murs. Rien que pour ça, je dis merci !
Le groupe est actuellement en tournée automnale en France, donc foncez les voir vous ne serez pas déçus ! Le dépaysement est 100% garanti et ils sont très énergiques !
Le groupe a annoncé il y a quelques jours vouloir sortir son deuxième album courant 2023. S’ils reviennent dans le coin pour le présenter en live, j’irai sans hésitation les revoir. Faisons vivre la diversité : le monde ne peut que se porter mieux.