Il tenait à cœur à Fée Verte d’interviewer l’un des groupes polonais les plus prometteurs à son sens, Wędrujący Wiatr. Voici sa retranscription !
- Bonjour à vous ! Pour commencer, pouvez-vous présenter le groupe pour ceux qui ne le connaissent pas ?
W : Bonjour. Wędrujący Wiatr est un groupe polonais qui s’efforce de créer une ambiance nocturne et rurale romantique du folklore, des fables et d’une nostalgie indéfinie.
- « Wędrujący Wiatr » signifie « vent vagabond » en polonais, pourquoi avoir choisi ce nom de groupe ?
W : Depuis le début, nous sentions qu’il y avait un sens du voyage dans notre musique, une errance sans fin conduite par une forme de nostalgie indéfinissable. La silhouette d’un étrange Vagabond nous est apparue comme une silhouette mystérieuse et encapuchonnée qui traverse les terres endormies en quête de l’inconnu. Tel le vent, le Vagabond voyage d’un horizon à l’autre, sans fin, parfois en répandant la misère et la peur, toujours non désiré, et éternellement banni. C’est une sorte de concept romantique, basé en partie sur les contes traditionnels en rapport avec le vent. Il n’y a pas d’idéologie particulière, mais ce Vagabond est une sorte de pivot aux histoires que nous racontons.
- Le 14 février dernier, vous avez publié sur Facebook une photo avec la légende « Back at work ». J’imagine que cela annonce un nouvel album !
W : Oui. Mais les choses avancent lentement pour nous parce que nous vivons loin l’un de l’autre et nous avons une façon étrange de composer. Un album pour fin 2019 serait un scénario optimiste.
R : Il y a beaucoup à faire et nous partons littéralement de zéro, nous avons décidé d’intégrer quelques nouveaux aspects et de modifier le son dans son ensemble, etc., tandis que le but principal est de garder l’esprit de Wędrujący Wiatr tel qu’il est malgré ces changements. Pour être honnête, le plus difficile est de ne pas se répéter, de rester soi-même tout en se dépassant. Fin 2019 est un scénario possible, mais je ne serais pas surpris si cela était retardé à 2020. Cela peut paraître étrange, mais nous avons besoin de beaucoup de temps pour composer un album, nous ne voulons pas enregistrer quelque chose qui ne nous représenterait pas.
- Le 15 novembre 2017, vous avez également publié sur Facebook une image qui m’avait intriguée : c’était celle qui portait les noms de vos projets musicaux Wedrujacy Wiatr, Kres et Stworz, avec pour légende « 2018 ». Comment fallait-il l’interpréter ? Cela annonçait-il un live, ou un nouvel album pour chacun de ces projets ?
W : Contentons-nous de dire que les choses ne se sont pas vraiment déroulées comme prévues, mais c’est toujours une possibilité.
- Envisagez-vous de faire des concerts un jour ou considérez-vous que Wedrujacy Wiatr est un groupe exclusivement fait pour écouter chez soi ?
W : La deuxième option, absolument. Je ne peux même pas imaginer de jouer ces chansons sur scène. J’ai fait quelques concerts dans le passé et je me suis rendu compte que ce n’était pas fait pour moi. Puis il y a des groupes taillés pour la scène, et d’autres dont la musique est dédiée uniquement à un seul auditeur pour le faire voyager. J’assiste parfois à des concerts mais j’écoute surtout la musique au calme chez moi. Il y a des groupes qui font une musique atmosphérique super mais qui la gâchent en faisant des concerts. Je ne citerai aucun nom, mais j’en ai fait l’expérience.
- Vous avez participé à l’album-hommage à Summoning avec votre reprise du morceau « Like Some Snow-White Marble Eyes ». Comme beaucoup de groupes de black atmosphérique, je suppose que c’est un groupe incontournable pour vous, quel effet cela fait-il de figurer sur cette compilation aux côtés d’autres groupes aussi talentueux que vous tels que Sojourner ou bien encore Mesarthim ?
W : Avec tout le respect que je leur dois … je ne me rappelle pas de leur son. Je ne suis pas un fan de beaucoup d’hommages, et pour être honnête, j’ai dû écouter tout l’album une seule fois … Pourtant je pense que ça en valait la peine. Je préfère les morceaux originaux, et je ne vois pas trop l’intérêt d’écouter deux heures de reprises. Selon moi, de tels albums sont plus comme un véritable hommage, un fabriqué pour célébrer la grandeur et l’influence de quelqu’un. C’est plus un symbole. Je ne peux pas dire que Summoning est un « groupe incontournable » pour nous, mais leur musique nous a tout de même inspirés. Bien sûr je suis ravi que nous ayons eu cette opportunité de participer à un tel projet, et je me rappelle qu’avoir travaillé sur notre version de leur chanson était un pur plaisir. Cela étant, faire des reprises est plus pour s’amuser que pour les écouter, selon moi en tout cas.
- Si je ne me trompe pas, vous êtes le seul groupe sur cette compilation à avoir repris un morceau de Summoning dans votre langue natale, pourquoi ce choix ?
W : La question devrait être : « Pourquoi les autres ne l’ont pas fait ? ». Je ne vois pas de raison rationnelle pour chanter ou écrire des chansons dans une langue étrangère quand je peux le faire tout seul. Et de ce fait, nous avons donné comme une nouvelle signification au morceau, puisque les paroles n’étaient pas simplement traduites mais dans une certaine mesure modifiées pour coller au concept. Simplement reproduire le morceau original ne nous aurait pas satisfaits.
- Et quel est votre album préféré de Summoning ?
W : Je les aime tous, excepté Lugburz et Dol Guldur que j’ai tendance à écouter assez rarement. Je crois que ça dépend de mon humeur. J’aime bien aussi les derniers albums.
R : Comme l’a dit mon camarade, cela dépend de l’humeur. Il y a des périodes où je n’écoute pas du tout ce groupe pendant six mois, et d’un coup, je peux écouter toute la discographie en quelques semaines. Personnellement, mon album préféré est Stronghold.
- En règle générale, quelles sont vos influences, musicales ou autres ?
W : La nature, le folklore, le romantisme naïf et paysan, le lien entre l’homme et le monde qui l’entoure exprimé par la culture … Les émotions envers ces sujets, le mysticisme et la métaphysique qu’ils suggèrent. Puis certaines œuvres du XIXème siècle en rapport avec ces sujets. Musicalement, j’écoute beaucoup de choses, mais si cela m’inspire, cela se fait inconsciemment, je n’ai jamais ressenti l’envie irrépressible de faire quelque chose sous l’influence des autres. Mais peut-être que certaines musiques metal ou non nous influencent de cette façon ou d’une autre (pour ma part, je dirais plutôt d’une autre).
- Est-ce vous qui réalisez vos pochettes d’album, ou faites-vous spécialement appel à un artiste ?
R : Je fais tout l’agencement moi-même. La plupart du temps, je travaille avec mes propres photographies. Sur la pochette du deuxième album de Wędrujący Wiatr il y a une gravure sur bois fortement modifiée du livre de Melchior Wańkowicz Na tropach smętka. Certaines illustrations dans le livret ont été dessinées par mon ami.
- Avez-vous une légende ou un conte polonais(e) préféré(e) ?
W : Quand j’étais enfant, ma mère me racontait avant de dormir une histoire sur la fougère et un garçon devint riche en en trouvant. Cette histoire a de toute évidence eu beaucoup d’influence sur moi vu que c’est la seule dont je me souviens en détails. Je ne peux dire si j’ai vraiment un conte préféré en particulier. Il y en a des milliers, et leur ambiance diffère selon les régions. Beaucoup portent des éléments issus de la mythologie pré-chrétienne de nos terres. L’atmosphère générale des contes traditionnels s’adresse directement à mon âme, puisqu’ils essaient de donner à un monde ordinaire un sens plus profond et le rendent plus riche. Ou ils décrivent juste ce qui ne nous est plus visible.
R : Il y a beaucoup de légendes polonaises que j’adore et c’est impossible de dire quelle est ma préférée, mais personnellement, mes préférées sont celles qui parlent des esprits, des apparitions, des choses invisibles aux yeux de l’homme. J’aime beaucoup la légende du noble Twardowski, qui a fait un pacte avec le diable et qui a tenté d’échapper aux conséquences. Mais c’est juste un exemple.
- Selon vous, est-ce-que le peuple polonais reste très attaché aux traditions ?
W : Cela dépend des régions et si l’on parle des lieux ruraux ou urbanisés, mais généralement je dirais que oui. Dans les campagnes, l’attachement est peut-être plus fort, plus particulièrement dans les régions où il y a toujours eu une identité forte et distincte, comme dans les montagnes Tatras par exemple (“górale” – montagnards), en Silésie, en Podlasie, en voïvodie de Lublin ou en Basses-Carpates. Bien sûr, c’est grossièrement résumé, vu que même au sein de ces régions il y a beaucoup de sous-régions avec des sous-identités, etc. Dans les zones urbaines en Pologne, les gens ont tendance à suivre certaines traditions simples souvent associées à la compréhension traditionnelle des rites chrétiens, et nous versons donc encore de l’eau sur notre prochain le lundi de Pâques ou décorons l’arbre et chantons à Noel, nous procédons à des processions traditionnelles lors du Corpus Christi ou de l’Épiphanie, et nous préparons des couronnes de blé pour Dożynki (la fête des moissons), etc. Les enfants vont encore souvent noyer l’effigie de Marzanna au premier jour du printemps et dans certaines régions, il y a certaines personnes qui ont pour coutume de se déguiser en monstre et de suivre les gens, ou qui déambulent juste à travers la ville. C’est ce que l’on appelle « Dziady Żywieckie » (de la région de Żywiec) ou « Śmigustne » (Printemps). Ces traditions sont nombreuses et certaines sont très répandues, d’autres locales, et d’autres presque oubliées ou seulement mentionnées symboliquement. La plus commune est peut-être celle d’allumer des bougies sur les tombes de nos proches les 1er et 2 novembre (lors de la Toussaint et de Zaduski, littéralement « le jour des prières pour les âmes »). Des foules immenses font des pèlerinages dans tout le pays, font souvent de longues distances juste pour allumer une bougie sur une tombe qui est loin de chez eux. Les cimetières sont tous illuminés la nuit. C’est vraiment un sujet inépuisable.
- En parlant de tradition, j’ai noté que certains passages dans vos chansons étaient narrés dans des dialectes locaux, quels sont-ils ? Est-ce-que vous parlez un dialecte couramment, l’utilisez-vous dans la vie quotidienne, ou le réservez-vous uniquement à la sphère musicale ?
W : “Na Łańskam Jyziorze” a été écrite dans une langue qui a été stylisée pour ressembler au dialecte de Varmie. Je dis « stylisée » car nous avons peut-être fait beaucoup de fautes donc je ne garantirais pas que tout est correct, bien que je pense que cela a été efficace pour avoir apporté une atmosphère particulière. Les paroles sont inspirées de contes de la Varmie, donc le langage approprié devait convenir au style. De plus, d’autres chansons comportent des éléments de dialecte montagnard. Je comprends moi-même le dialecte de Varmie et connais certains mots et certaines règles, mais de nos jours, quasiment personne ne le parle, essentiellement parce que une grande partie du peuple de cette région a été remplacée à la fin de la Seconde Guerre Mondiale et les nouveaux arrivants parlaient le polonais standard. Mais dans d’autres parties de la Pologne, les dialectes régionaux sont encore assez utilisés, surtout en Silésie, en Cachoubie ou dans les Tatras.
R : La dernière chanson « U stóp śniącego króla Tatr » a été en grande partie écrite dans un dialecte montagnard et il est encore beaucoup parlé dans les montagnes, même par les jeunes gens, ce que je trouve magnifique.
- Ces dernières années, le nombre de groupes de black atmo a littéralement explosé. Selon vous, qu’est-ce-que vous différencie des autres ?
W : Nous n’avons jamais vraiment eu ce ressenti. Je suis certaines chaînes Youtube dédiées au black atmosphérique. Je découvre sans cesse des bons groupes, mais très rarement des choses qui me laisseraient sans voix. Nous avons eu une idée, cette idée a évolué, et nous ne nous sommes jamais comparés à d’autres groupes. Je pense que l’on est peut-être plus « ruraux », plus « enracinés » et « locaux » que la plupart d’entre eux. Même si notre culture et nos traditions peuvent paraître « exotiques » pour les Occidentaux, cela rend fier certains de nos compatriotes. En fait je ne sais pas trop comment répondre à cette question. Une chose que je peux dire, c’est que la conséquence de cette explosion dont tu parles est une rétrogradation dans l’individualité parmi tous ces groupes. Maintenant, c’est plus facile que jamais de faire de la musique et tu peux très bien en faire sans avoir d’idées, sans parler de l’originalité ou de l’identité.
R : Il n’y a qu’une seule explication face à ce « big-bang » de groupes de black atmosphérique, parce que de nos jours tu n’as plus besoin d’avoir un talent particulier pour créer ce genre de musique. Pour être honnête, j’en ai vraiment assez de ce style parce que selon moi presque tout se ressemble. Je ne dirai rien sur notre musique, parce que ce n’est pas mon rôle. Je préfère entendre l’opinion d’autres personnes. Nous faisons ce que nous ressentons, voilà, c’est tout.
- La scène black metal est de plus en plus renommée en Pologne, auriez-vous des groupes émergents à recommander ?
W : Selon moi la scène black metal polonaise se meurt … Je ne peux pas vraiment recommander de groupes récents, mais plutôt des bons vieux groupes de black metal des années 90 comme Veles, Ohtar, (vieux) Arkona, Mysteries, Werewolf, LSSAH, Kataxu, Infernum, Fullmoon… pour nommer les plus connus. Je pense qu’il y a bien sûr quelques bons projets underground actuellement, mais aucun ne me vient vraiment à l’esprit. Je peux vous conseiller nos amis de Rivers like veins. Biały viteź sont bons également.
R : Comme mon camarade, je préfère les vieux groupes. Il n’y a qu’un groupe de black metal polonais en activité que j’adore, c’est Cultes des Ghoules, l’un de ces groupes où je peux ressentir la présence de quelque chose de vraiment perturbant.
- Merci beaucoup pour cet interview, auriez-vous quelque chose à ajouter ?
W : Merci pour l’interview et le soutien.
R : Merci.
Fée Verte