Jeudi 24 octobre 2019. Un jour avant la sortie officielle, Season Of Mist annonce la mise en ligne intégrale de Cosmicism des Bordelais de The Great Old Ones. Fin d’après midi, je rentre d’une longue journée. Fatiguée. Les jambes lourdes, l’air las, la tête pleine de problèmes futiles du quotidien. Sous le ciel gris, la nuit tombante, je fixe mon casque sur mes oreilles, je pose la barrière me coupant du monde extérieur. Ou plutôt, je laisse la musique lui donner formes, couleurs et sens nouveaux. Quelques notes résonnent, envoûtantes, mystérieuses, noires mais indéniablement intrigantes. Presque suspendues dans les airs, comme flottant à travers un brouillard éthéré : l’ambiance est posée, de manière si simple et si éloquente. L’art de l’intro, celle qui te prend subtilement par la main de manière très simple tout en ne te donnant aucune échappatoire – la suite doit être écoutée. Je m’enfonce dans l’obscurité alors que se dessinent autour de moi les volutes bleuâtres de la magnifique pochette de Jeff Grimal et les visions inconcevables d’H.P. Lovecraft.
Quatrième opus d’une discographie jusque-là sans faille, et que de chemin parcouru pour le groupe depuis les débuts d’Al Azif en 2012. Deux premiers albums chez Les Acteurs de l’Ombre (dont le seul, l’unique, l’incontournable, le monumental Tekeli-Li – oui je suis toujours parfaitement mesurée dans mes propos) étalant un post-black riche et dense, teinté de lenteurs doom/sludge écrasantes. Une signature chez ni plus ni moins que Season Of Mist et voilà que paraît EOD : Tales of Dark Legacy, encore plus massif mais surtout plus direct, marquant une légère évolution dans l’approche. Mais quoi qu’il en soit, toutes les influences musicales quelles qu’elles soient ne sont là que pour servir le propos : Lovecraft, son univers cauchemardesque, ses Grands Anciens. Des albums concepts autour des nouvelles de l’auteur, traversés de narration. Et s’il s’agit sûrement là d’un des thèmes les plus utilisés par le metal extrême depuis des lustres, TGOO sont ceux qui personnellement, proposent l’oeuvre la plus immersive que je connaisse. Celle qui me parle le plus, quoi qu’il en soit. Sensibilité personnelle, mais vu la renommée grimpante du groupe… C’est bien que je ne dois pas être la seule à aimer me plonger dans ces albums et leurs artworks plus évocateurs les uns que les autres. Jeff Grimal est toujours celui qui se cache derrière celui de Cosmicism, bien qu’il ait quitté le groupe en tant que guitariste depuis l’an dernier. Niveau changement de line-up, Benoît Claus (Gorod) est également venu prendre la basse de Jérôme Charbonnier – mais c’est quoi qu’il en soit Benjamin Guerry qui demeure principal leader depuis 2009.
Comme annoncé par le groupe, Cosmicism prend sur le plan conceptuel une direction un peu différente de ses prédécesseurs. Au lieu d’être basé sur une nouvelle de Lovecraft en particulier, c’est ici une oeuvre plus globale qui nous est proposée, reprenant des concepts clés de l’oeuvre de l’auteur américain : l’insignifiance de l’homme face à l’immensité du cosmos qu’il ne peut comprendre, certains grands anciens en particulier – tout le monde aura noté “Nyarlathotep”. Mais au final, Cosmicism s’écoute lui aussi comme un seul bloc, une seule entité, un seul voyage qui ne s’apprécie réellement lorsque vécu du début à la fin d’une traite. Niveau immersion, rien ne s’est perdu en chemin non plus : ce quatrième opus sonne directement dans la continuité, nourri de ses trois prédécesseurs. La marque TGOO est là : des compositions denses où se superposent plusieurs couches tantôt mélodieuses, tantôt chaotiques, des breaks atmosphériques ou écrasants de lenteur… Un résultat très organique servi par une production plus claire, propre et puissante, mais loin d’être lisse. Benjamin Guerry, désormais seul aux vocaux depuis le départ de Jeff Grimal, officie dans un registre peut-être un peu plus rauque que d’habitude avec des growls assez profonds.
Mais surtout, la force de cet album semble être de reprendre le meilleur du côté fracassant d’EOD et des longs morceaux alambiqués des deux albums précédents. “The Omniscient” entame les hostilités après l’intro et est rapidement devenu un de mes morceaux préférés du groupe avec des trémolos pickings mélodiques et épiques – puissants et célestes – son break atmosphérique particulièrement bien placé et lui aussi magnifique. Aspect mélodique qui sera encore plus renforcé par “Of Dementia” où je trouve à la mélodie un feeling limite néo-classique mémorable. Le ton varie considérablement au cœur des morceaux, sûrement plus que sur les albums précédents, éliminant définitivement les quelques longueurs qui pouvaient rester. Mais surtout, les cinquante minutes dans leur globalité sont beaucoup plus rythmées. Si l’accent est mis au début sur l’aspect post-black mélodique, “Lost Carcosa” reprend les structures plus denses et alambiquées auxquelles le groupe nous avait déjà fortement habitués. Le chaos de la première partie est cependant brutalement coupé pour passer à une rythmique hachée et pressante, avant de se terminer sur un nouveau passage atmosphérique de toute beauté. Le tout prend aux tripes pour nous immerger une fois de plus – tout est au service de la création de cette atmosphère si belle, mystérieuse et menaçante.
“A thousand young” renoue ensuite avec les rythmiques écrasantes et t’enterre de ses onze minutes avec à peu près tout autant d’efficacité que les neuf minutes de “Antarctica” sur Tekeli-Li. Mouvement bientôt interrompu par “Dreams of nuclear chaos”, l’un des morceaux les plus courts de TGOO, reprenant directement dans la lancée d’EOD type « The shadow over Innsmouth » et sa puissance brute. Après une telle démonstration de force et de subtilité dans les changements de ton tout au long de l’album, “Nyarlathotep” vient te mettre une dernière fois six pieds sous terre en ralentissant encore le tempo pour t’imposer toute la puissance du fameux Grand Ancien.
Violence brute, lenteurs abyssales et chaos sont sublimés par ces quelques solos de guitare, breaks, solos ou outro atmosphériques à l’image de “Cosmic Depths” qui ouvre l’album, parfois parcourus de voix parlée ou de chœurs grégoriens semblant psalmodier d’étranges incantations.
En somme, The Great Old Ones a fait face aux attentes pour proposer un mélange plus riche, plus varié et profond, plus inspiré que jamais. Entre mélodies épiques, rythmiques écrasantes, et pauses atmosphériques de toute beauté, Cosmicism semble s’imposer comme le plus abouti des quatre opus du groupe pour nous emmener toujours plus loin dans les visions tortueuses Lovecraftiennes.
Sortie : 25 octobre 2019
Tracklist :
1. Cosmic Depths
2. The Omniscient
3. Of Dementia
4. Lost Carcosa
5. A Thousand Young
6. Dreams Of Nuclear Chaos
7. Nyarlathotep