Il y a de ces groupes que vous connaissez comme ça, de loin. Vous aviez commencé et ça vous avait plu, mais ça avait l’air compliqué et vous n’aviez pas le temps de vous y consacrer, là tout de suite. « Il faudra que j’y revienne quand j’aurai plus de temps pour creuser ça ». Et puis, de nouvelles sorties, d’autres découvertes, et vous n’avez jamais pu honorer cette promesse. Pourtant, il y avait quelque chose…
Eh bien c’est un peu mon histoire avec Pensées Nocturnes. Le précédent opus, A boire et à manger sorti en 2016 m’avait bien chatouillé le fond de l’oreille. Sauf qu’au vu de la complexité et de la densité de la chose, je m’étais promise d’y revenir plus tard « sérieusement »… Sans le faire. Jusqu’à aujourd’hui. Pensées Nocturnes a pourtant tout pour nous plaire, à moi et à la partie la plus douteuse de mes goûts. L’absurde, la décadence, la noirceur, ce grand sourire follement désespéré… J’ai donc sauté la sortie chez Les Acteurs de l’Ombre du sixième opus de Vaerohn, grand chef d’orchestre du projet francilien. Il est temps pour moi de réparer mon erreur en vous parlant de ce qui file le moins droit dans ma tête.
Mais par où commencer ? Sous l’étiquette « Black Metal Avant-gardiste », on peut mettre tout et n’importe quoi, avec la promesse d’être un spécimen. Du BM donc, et une ambiance de cirque de l’horreur que la pochette de l’album nous annonce sans pincettes. Du rouge, du sang, ce chapiteau dans lequel nous convie ce personnage fort sympathique, grand sourire et arme du crime fièrement brandie. « Grand Guignol Orchestra » vous prévient : le mauvais goût sera à l’honneur, et il en deviendra presque délicieux si vous le voulez bien. Enfin, en bas, le (véritable ?) titre du spectacle auquel vous êtes conviés : « Boucherie dans le cirque, une pièce sanglante en 10 actes ».
Oui, 10 actes, et n’essayez pas de tricher. Cet album s’écoute d’une traite, chaque piste s’enchaîne avec la suivante par d’habiles subterfuges sans qu’on ait le temps de le remarquer. Il vous suffit juste de lancer « Un trop plein de rouge », courte d’introduction qui vous transporte dans ce si singulier autre part, glauque et resplendissant de démence. Une douce voix vous convie d’ailleurs à entrer… Et le chaos de « Deux bals dans la tête » vient vous cueillir pour ensuite vous faire valser durant un peu moins de 50 minutes.Jusqu’au-boutiste, hors norme, insensé, oui. On pourrait être tenté de rapprocher ce Grand Guignol Orchestra d’autres bijoux de burlesque, voire de cirque et d’expérimentations teintés de Black Metal. On est pourtant loin il me semble, d’un Arcturus par exemple… Parce qu’on sent rapidement à quel point ces dix pistes forment un tout singulier et personnel, l’exutoire de son créateur et la glorification de ses démons. Ne cherchez pas la demi-mesure. Ici, il n’y a que l’excès, dans un sens ou dans l’autre. C’est, en quelque sorte, un abîme sans fond pour les détraqués, les marginaux, pour enfin s’oublier et purger sa catharsis
Rien n’est facile et tout semble travaillé au millimètre près. On passe par les passages les plus metal avec riff en tremolo picking et blasts beats, aux parties de chaos pur où le rythme n’existe plus, mais qui elles aussi parviennent à faire sens. Les guitares, les cuivres, l’accordéon, etc s’enchevêtrent si bien qu’il n’est parfois même plus possible d’essayer de déterminer qui joue quoi. La schizophrénie est partout, en particulier dans ces multiples alternances entre les dissonances et les mélodies de cirque d’une joyeuseté outrancière, les passages complètement DSBM et ceux beaucoup plus avant-gardistes qui se côtoient jusqu’à parfois se mélanger ou encore ces vocaux complètement fous qui peuvent passer des cris les plus bestiaux à un champ lyrique d’un ivrogne proche du coma.
Certes, rien dans cet album n’est accessible et le tout peut sembler très pompeux. Tous ces aspects étant assumés dans la démarche, la recette marche à merveille. Et pour peu que vous arriviez à vous y faire, Grand Guignol Orchestral vous fera passer par toutes les émotions possibles. Quand on finit par s’y abandonner, ces mouvements contradictoires de schizophrénie se fondent pour ne faire qu’un. : l’hystérie et la dépression, c’est pareil. Une explosion de démence dans un rêve halluciné.
Alors mettez votre casque, appuyez sur « play » et venez, venez vous perdre.
Herja
8,5/10
Tracklist :
1. Un trop plein de rouge
2. Deux bals dans la tête
3. Poil de Lune
4. L’Alpha Mal
5. L’Etrangorium
6. Les Valseuses
7. Gauloises ou Gitanes ?
8. Comptine à boire
9. Anis Maudit
10. Triste Sade
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