Peut-être avez-vous comme moi ce petit rituel chaque vendredi : écouter les sorties de la semaine. Chose que j’ai donc faite le 18 octobre dernier, avec au programme de cette journée Hollow Coves et Nifrost entre autres. Mais la sortie du jour qui avait le plus attisé mon attention, c’est le premier album d’Ad Nemori, intitulé Akrateia. Je ne connaissais absolument pas ce groupe, jusqu’à ce que son bassiste, Marco Oberbacher, propose au webzine de chroniquer l’album. J’avais vu par la suite que le groupe ferait sa release party aux côtés d’une autre formation allemande que j’affectionne particulièrement, à savoir Waldgeflüster, ce qui m’a encore plus incitée à écouter.
Comme évoqué plus haut, Ad Nemori nous vient d’Allemagne, plus exactement de la capitale bavaroise, Munich (oui, comme Waldgeflüster !). Le groupe a été formé en 2008 sous le nom « My Dying Horizon », puis deviendra Ad Nemori en 2013. Un premier EP intitulé Pyre paraît en 2016. Pour le premier album Akrateia, sorti en auto-production, le line-up est constitué de Raphael Weller (chant), Stephan Preissner (guitare/chœurs), Oliver Pagel (guitare/chœurs), Marco Oberbacher (basse), Milos Ilic (claviers, piano et orchestrations) et d’Alexander Wex (batterie/percussions). Les deux derniers membres cités sont les derniers arrivants au sein du groupe. La pochette de l’album a été réalisée par Alexander Forster.
Ad Nemori se définit comme groupe de Death atmosphérique, et les thèmes sont principalement axés sur la philosophie, le nihilisme, la nature, l’amour et la mort. Le groupe est en quelque sorte une manifestation musicale de la dualité du monde et incarne cette tension entre la brutalité et la beauté. Ad Nemori s’inspire essentiellement du son « Melodeath » du début des années 2000.
Akrateia est composé de neuf pistes, dont une introduction, un interlude et une outro. Les morceaux principaux durent en moyenne cinq minutes, bien que deux d’entre eux se démarquent fortement avec une durée de huit à presque dix minutes.
L’album s’ouvre sur « Miasma » (se traduisant par « miasme », qui est une émanation censée causer maladies et épidémies, ou un gaz putride provenant de substances en décomposition). Pas très engageant dit comme ça, et pourtant, ce court morceau est une jolie introduction instrumentale menée par le piano et les orchestrations. Sans transition, s’ensuit l’énergique et rentre-dedans « Tellurian Doom », qui reprend dans l’intro le même thème musical que « Miasma » aux guitares. Le chant growlé typé « Death » du chanteur Raphael est profond, intense et maîtrisé, et les parties de guitare, que ce soit les riffs ou les solos, sont mélodiques, épiques, et diablement accrocheuses. Les claviers sont en arrière-plan, apportant une légère touche mélancolique. La petite particularité de ce morceau, c’est son bridge comportant des petites touches orientales dans les riffs, puis ce côté atmosphérique et épique qui m’a rappelé Omnium Gatherum.
Le morceau suivant, « Above the Tide », est introduit par le bruit de l’eau, et met en exergue les influences death/doom d’Ad Nemori. J’y ai par moments retrouvé un côté « Décembre Noir ». Ici, on peut noter davantage de variété dans les types de voix : le chant death reste majoritaire, mais on peut également entendre un chant black quasi chuchoté, ainsi que des chœurs mêlés aux orchestrations et aux riffs mélancoliques. Un autre élément intéressant dans ce morceau, c’est son passage davantage typé « Blackgaze ».
Plus le temps passe, plus je remarque que j’ai tendance à préférer les morceaux les plus longs d’un groupe. Ad Nemori n’échappe pas à la règle, avec « Kenosis », d’une durée de près de dix minutes. Je parlais plus haut des thèmes chers au groupe, et à travers le titre de ce morceau, on retrouve l’attrait pour la philosophie, puisque « Kenosis » se traduit par « kénose », qui est une notion de théologie chrétienne sur l’abaissement de Dieu. « Kenosis » s’ouvre donc de manière tout à fait mélancolique à la guitare, à laquelle s’ajoutent les chœurs, pour former un ensemble « doom/death mélodique » intensifié par les claviers. Il faut attendre quatre minutes pour avoir un léger gain d’énergie, contrebalancé peu après par un très beau bridge mélancolique au piano et aux orchestrations. Comme dans le morceau précédent, le chant black chuchoté provoque une montée en intensité, pour aboutir sur un final épique et mélancolique à la guitare.
Ad Nemori ne s’inspire pas uniquement de groupes, mais aussi d’auteurs. C’est par exemple le cas dans « Obey the Sovereign », dont les paroles de l’introduction sont tirées de « The Everlasting Gospel » (1818) de William Blake, poète pré-romantique britannique. Ces paroles sont d’ailleurs prononcées par une voix narrative au ton paradoxalement diabolique, suivie d’un rythme « Death prog » déroutant. L’aspect symphonique des orchestrations aide à instaurer une ambiance menaçante, et c’est peu après, lors du bridge acoustique à la guitare et aux claviers, puis lors du final épique, que l’on constate la dualité évoquée entre la beauté et l’agressivité, avec ce côté lumineux.
« Diverging From the Black » s’écoute bien mais n’a rien de particulier qui le ferait sortir du lot, Ad Nemori associe simplement mais efficacement l’épique et le mélancolique. En revanche, le combo « Guidance / The Stars My Destination / Enkrateia » mérite selon moi tous les honneurs, le premier étant un interlude instrumental mélancolique aux élans folk mené par la guitare et les claviers. Je parlais de « Kenosis », mais c’est le deuxième morceau le plus long de l’album, « The Stars My Destination » (huit minutes environ), qui est de très loin mon préféré. Là aussi, Ad Nemori reprend un extrait d’un poème de William Blake, le bien connu « The Tyger » tiré du recueil Songs of Experience (1794). Quant au dernier couplet, celui-ci est extrait du roman de science-fiction My Stars, My Destination (titre français : Terminus, les étoiles)(1957) de l’auteur américain Alfred Bester. Suite à l’intro mélancolique à la guitare et aux claviers, les riffs épiques sont à la lisière du post-black, le rythme est soutenu, et les claviers sont oniriques. Mention spéciale au très beau bridge aux guitares et au piano. C’est sur « Enkrateia » (mot grec signifiant « maîtrise de soi »), morceau instrumental mélancolique au piano, qu’Akrateia prend fin.
Pour ma part, Ad Nemori est un groupe très prometteur qui fait jusqu’à maintenant partie de mes meilleures découvertes de l’année, et Akrateia peut prétendre entrer dans la course de mes albums préférés de 2019. Voir le groupe en live prochainement serait la cerise sur le gâteau, affaire à suivre de très près !
Fée Verte
8/10
Tracklist :
- Miasma
- Tellurian Doom
- Above the Tide
- Kenosis
- Obey Thy Sovereign
- Diverging From the Black
- Guidance
- The Stars My Destination
- Enkrateia
Sortie : 18/10/2019
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