A deux jours de la sortie physique de leur troisième album Rien Ne Devait Mourir, Fée Verte a pu s’entretenir avec les membres d’Angellore !
Bonjour à vous tous ! Votre troisième album Rien Ne Devait Mourir sort dans deux jours, comment vous sentez-vous à l’approche de cet événement ?
Walran : De toutes les émotions contradictoires qui m’étreignent, je pense que celle qui prédomine est réellement le soulagement ! Venir à bout de cet album a été un véritable défi, tant pour le groupe que pour les personnes ayant œuvré à ses côtés (invités, producteur, labels, prestataires…) et je suis vraiment très heureux de voir la date de sortie approcher à grands pas. J’éprouve également une certaine excitation voilée d’anxiété, car j’espère que l’album plaira et que les auditeurs qui nous ont découverts avec La Litanie Des Cendres ne seront pas déçus ! Après cinq ans d’attente, ce serait dommage…
Vous avez fixé la date de sortie de l’album au 14 février. Angellore ayant un côté romantique, était-ce intentionnel ou un hasard total ?
Walran : De nos jours, les sorties d’albums ont toujours lieu le vendredi. Nous n’avons pas choisi cette date, mais lorsque nos labels nous l’ont proposée, nous l’avons acceptée avec grand plaisir car en effet, quoi de mieux pour une parfaite Saint-Valentin qu’un album de metal triste et romantique ? Parfois, les circonstances jouent en notre faveur !
C’est Celin, le bassiste du groupe, qui a réalisé la pochette de l’album. Que représente-t-elle précisément ?
Rosarius : On peut imaginer beaucoup de choses sur ce que ces deux silhouettes drapées représentent. Elles sont plongées dans le noir, on ne voit pas les visages. Elles ont donc une portée allégorique très forte. Un mort et un vivant ? Une figuration poétique et symbolique du deuil ? Il y a peut-être aussi une histoire d’amour derrière tout ça. Une séparation.
Pourquoi avoir choisi ce titre : Rien Ne Devait Mourir ?
Walran : C’est Rosarius qui l’a suggéré. Il l’a découvert dans un vers du poème “Le Papillon Malade”, de Marceline Desbordes-Valmore, poétesse romantique du XIXème siècle. Le groupe au complet l’a rapidement adopté car il évoque une délicieuse ambiguïté, tout en questionnant notre rapport à la mort et à l’au-delà, question prégnante chez Angellore, qui transparaît aussi bien dans nos textes que dans notre approche éthérée des mélodies, notamment de chant et de clavier. J’ai le sentiment que cette « déclaration », rien ne devait mourir, peut être interprétée de deux façons : comme un profond regret teinté d’incompréhension (“à quel moment les choses ont-elles dérapé ? Rien ne devait mourir, pourtant…”), ou comme un message d’espoir : “rassurez-vous et sachez que rien n’est fait pour mourir, et que rien ne mourra jamais.” Cela va très bien avec notre musique et notamment sur ce disque, qui joue beaucoup sur les contrastes.
Dans la présentation de l’album, vous évoquez que celui-ci a été écrit « dans la douleur » et que les sessions d’enregistrement ont été « tragiques ». Si ce n’est pas trop indiscret, pourriez-vous expliquer ces termes ? Cela explique-t-il pourquoi vous avez mis davantage de temps à sortir l’album ?
Walran : C’est moi qui ai suggéré de présenter les choses ainsi dans le livret de l’album. Cette description volontairement misérabiliste repose évidemment sur une certaine exagération, ce qui me semble parfait pour évoquer la conception d’un album de doom metal. Cela étant dit, je ne peux nier avoir assez mal vécu les séances d’enregistrement de Rien Ne Devait Mourir. J’étais déjà dans un mauvais état d’esprit en entrant en studio (pour des raisons personnelles, qui n’ont rien à voir avec le groupe), et j’ai souffert de constater qu’en dépit de notre processus de préparation intensif, nous n’étions pas aussi « efficaces » que je l’espérais. J’avais sous-estimé le caractère profondément ambitieux de ce nouvel album, qui nécessitait que chacun de nous puise dans ses retranchements pour offrir les meilleures performances possibles. Et une fois les prises de son effectuées, je trouvais toujours quelque chose à redire et n’étais jamais satisfait ! Outre le fait que cet opus soit plus exigeant sur le plan technique, le problème vient de moi et de ma passion vibrante pour la musique d’Angellore, qui m’amène parfois à réagir de façon excessive. Il nous a fallu multiplier les passages en studio, car notre producteur a également eu des choses très compliquées à gérer dans sa vie personnelle et j’ai, comme pour notre premier disque Errances, très mal vécu le fait de voir le processus s’étaler dans le temps et me sentir impuissant face aux choses qui échappaient à notre contrôle.
Si je ne me trompe pas, vous êtes assez éparpillés géographiquement parlant au sein du groupe. Cela représente-t-il un frein à vos yeux ?
Walran : Indubitablement. Les occasions de se retrouver sont rares et nécessitent une organisation rigoureuse. Je pense notamment que la question épineuse du live aurait déjà été réglée depuis longtemps si nous habitions tous la même ville et avions le luxe de pouvoir répéter de façon hebdomadaire. D’un point de vue romantique, je dirais cependant que cela rend chaque week-end de retrouvailles particulièrement précieux. Lorsque nous sommes tous les cinq dans la même pièce, c’est magique !
Pour Rien Ne Devait Mourir, vous avez fait appel à de nombreux musiciens guests, dont le fameux claviériste et hautboïste de Skálmöld. Était-ce déjà des connaissances ou avez-vous dû faire une sorte de session de recrutement ? Excepté Gunnar, y a-t-il d’autres guests qui avaient eu une expérience au sein de formations metal auparavant ?
Walran : J’ai rencontré Gunnar en 2014 et nous sommes rapidement devenus amis. Les membres de Skálmöld sont très chaleureux et passionnés, et il se trouve que j’adore leur musique. Sur La Litanie des Cendres, nous avions déjà quelques parties de hautbois mais il s’agissait d’un instrument synthétique, que nous émulions avec un clavier. Pour ce nouvel opus, nous voulions jouer la carte de l’organique et, lorsque c’était possible, remplacer les claviers par de vrais instruments acoustiques. Gunnar étant une sommité dans son milieu et le seul joueur de hautbois que je connaissais, je lui ai demandé de participer à l’album, et il a immédiatement accepté. Nos autres invités ne viennent pas du milieu metal et ne connaissent pas forcément très bien cette musique, à l’exception de ma sœur Delfine, qui joue de la harpe et chante avec la chorale et sur la clôture de « A Romance Of Thorns », puisque c’est elle, ainsi que mon autre sœur, qui m’a initié à cette musique lorsque j’étais enfant. Et Cathy, qui joue du violon sur chacun de nos albums, commence à bien connaître notre univers également !
J’aimerais parler plus particulièrement de deux morceaux qui représentent à mes yeux les plus grands défis sur ce nouvel album. Tout d’abord le morceau d’ouverture « A Romance of Thorns », qui est jusqu’à présent le plus long de votre discographie, mais également « Que les Lueurs se dispersent », qui est le seul titre chanté en français. Pourquoi avoir choisi de chanter ce morceau en particulier dans votre langue maternelle ?
Walran : Parler de défi me semble approprié, même si tout compte fait, la structure de « A Romance Of Thorns » s’est plus facilement et rapidement dessinée qu’on pourrait le penser. Rosarius et moi avons commencé à travailler sur ce morceau en juillet 2014. Forts de l’expérience « Moonflower », nous savions que nous aimions les formats longs, les morceaux qui racontent des histoires en plusieurs chapitres et maintiennent une cohérence d’ensemble même lorsqu’ils s’aventurent dans différents genres musicaux. Je savais déjà de quoi le morceau devrait parler, et nous l’avons fait évoluer et mûrir au gré de nombreuses répétitions, en groupe. « Que Les Lueurs Se Dispersent » a été composé par Rosarius en 2010, dans une version darkwave et symphonique, très éloignée du metal. Un jour, il a suggéré de transformer cette chanson, qui portait un autre titre à l’époque, en véritable morceau d’Angellore. Nous avons conservé le caractère éthéré et féerique de la version d’origine, tout en rajoutant des guitares et une section rythmique. Je suis enchanté du résultat : pour moi, il s’agit de notre morceau le plus profondément triste et déprimant à ce jour.
Vous avez enregistré certains passages de l’album dans des lieux assez atypiques, comme des églises. Pourquoi avoir choisi précisément ces lieux, et selon vous, en quoi ont-ils apporté quelque chose en plus par rapport à un studio d’enregistrement lambda ?
Rosarius : Effectivement, la chorale que l’on entend au début de « A Romance of Thorns » et l’orgue à la fin de « Drowned Divine » ont été enregistrés dans des églises. Nous voulions une réverbération naturelle. Pour l’aspect liturgique et recueilli. C’est très important chez nous. Très important. C’est moi qui ai joué l’orgue dans l’église et ça a été une expérience extraordinaire pour moi qui ai depuis toujours un amour profond pour cet instrument. Il y a une énergie qui passe à travers ces enregistrements effectués dans des lieux religieux. J’espère que cette solennité se perçoit à l’écoute de l’album.
« Drowned Divine » est inspiré de l’opéra Lucia Di Lammermoor de Donizetti, lui-même basé sur le roman de Walter Scott. En quoi cette œuvre est-elle liée à l’univers d’Angellore ?
Walran : A vrai dire, le lien entre la chanson et l’opéra est assez ténu. Il se trouve simplement que j’avais commencé à travailler sur la musique de « Drowned Divine » sans savoir exactement de quoi parlerait le morceau, et l’illumination m’est venue en découvrant cet opéra, que j’ai adoré. C’est là que j’ai décidé de faire de cette chanson une longue pièce tragique dans laquelle interagiraient plusieurs personnages, chacun possédant une voix bien à lui, bien distincte. Le chant extrême de Rosarius, très rare sur La Litanie des Cendres, me manquait vraiment, et cela me donnait l’occasion de le remettre en avant en lui faisant incarner un esprit maléfique attaché à un marais et cherchant à attirer dans ses eaux deux amants égarés et séparés. Je n’ai lu le roman que bien plus tard, et ai beaucoup apprécié son caractère tragique et les belles images romanesques qu’il évoquait, avec cette notion d’amour absolu, plus fort que la mort. Mais il n’a pas inspiré directement « Drowned Divine ».
« Blood for Lavinia » renvoie au personnage du premier roman de Rosarius, pouvez-vous nous expliquer en quelques mots la trame de ce roman ?
Rosarius : C’est un roman un peu gigogne avec des vampires dans une atmosphère qui oscille entre fantastique et dark fantasy. Ça s’appelle Apostasie. Le passage du livre qu’illustre « Blood For Lavinia » est le moment où Lavinia, qui est la reine d’un royaume en pleine déliquescence, demande à son ami Ambrosius, qui connaît la sorcellerie, de lui préparer une potion de mort. Elle ne supporte plus la vie. Elle en a fait le tour. Ça ne l’intéresse plus. Ambrosius est comme un frère pour Lavinia, ils s’aiment fort depuis leur enfance. Il est très triste que Lavinia veuille mourir. Lui est devenu un vampire il y a quelque temps et aurait aimé qu’elle souhaite en devenir un aussi. Mais devant ce désespoir, il n’a pas tellement le choix, il doit lui préparer la potion qu’elle désire tant. La chanson « Blood for Lavinia », c’est la lamentation d’Ambrosius qui se souvient de Lavinia, de sa mélancolie et de sa beauté. Il lui dit qu’il espère qu’un jour, elle l’appellera depuis sa tombe, et qu’elle lui demandera de la ramener à la vie. Alors il rêve, il imagine qu’il versera sur la tombe quelques gouttes de son sang, pour la faire revenir.
Je n’ai pas encore pu écouter les deux titres bonus présents sur la version vinyle de l’album. Que pouvez-vous en dire et pourquoi les avoir intégrés comme bonus et non comme morceaux de l’album à part entière ?
Rosarius : Il y a « Twilight’s Embrace », un titre déjà présent sur La Litanie des Cendres, mais cette fois, le chant clair est assuré par Thomas Helm d’Empyrium. Nous adorons son interprétation des lignes de chant et nous avions vraiment envie de publier cette version. Un immense merci à lui d’avoir répondu présent ! Quant à l’autre titre bonus sur le vinyle, c’est « Rassembler les Cendres », une chanson folk mélancolique et symphonique qui n’a rien de Metal. Elle a été enregistrée maison puis mixée par Florent Krist et masterisée par nos amis de Kalthallen, comme toujours. Elle remonte à la période de La litanie. Elle est très douce, très onirique. Il y a de magnifiques lignes de flûte jouées par Céline Vernet, une spécialiste qui vit chez nous à Chambéry et qui a eu l’immense gentillesse de se rendre disponible pour enregistrer ces lignes. Ce titre était parfait pour un bonus. Nous voulions le sortir depuis longtemps mais l’occasion ne s’était pas présentée.
Quels sont vos projets pour cette année et à plus long terme ? Peut-on espérer vous voir en concert prochainement, pourquoi pas dans une église justement ? Ou comptez-vous par exemple sortir vos albums précédents en vinyle, ou tourner un clip ?
Rosarius : Nous continuons de nous préparer à notre rythme pour d’éventuels concerts mais ce n’est pas pour tout de suite ! Et sinon, nous fignolons l’écriture de notre prochain disque, ça avance bien. Et nous ne sommes encore sûrs de rien mais il n’est pas impossible que nos précédents ouvrages connaissent une sortie vinyle.
Walran : Rien Ne Devait Mourir sera également défendu par un clip, dont le tournage a déjà eu lieu. Je ne vous en dis pas plus pour le moment…
En parlant de live, avec quel(s) groupe(s) rêveriez-vous de tourner ?
Rosarius : Draconian, Shape Of Despair, Swallow The Sun, Omit, et pourquoi pas Skepticism ou Mournful Congregation ! J’en oublie sans doute !
Walran : Je rajouterais à cette belle liste Saturnus et Empyrium. Et bien sûr, je valide tous les choix de mon comparse !
Nous arrivons au terme de cet interview, je vous laisse le mot de la fin, souhaiteriez-vous ajouter quelque chose dont nous n’aurions pas parlé ?
Rosarius : Un très grand merci à toi pour cette interview et ces belles questions ! Nous espérons que le public appréciera ce nouvel album et passera de longues heures à rêvasser en l’écoutant !